Je me souviens du moins d'une grande fille magnifique qui avait dansé tout l'après-midi. Elle portait un collier de jasmin sur sa robe bleue collante, que la sueur mouillait depuis les reins jusqu'aux jambes. Elle riait en dansant et renversait la tête. Quand elle passait près des tables, elle laissait après elle une odeur mêlée de fleurs et de chair.
Encore une traduction de tao-tö kingoe il est vrai, mais aussi, que nul texte n'est plus ambigu, obscur et même composite.
Mais ce sera la première fois en france que ce poème philosophique est traduit par un chinois qui se sent, se veut taoïste. sur plus d'un point, sa version modifie le sens de phrases qu'on tient d'ordinaire pour allant de soi. m. liou ki-hway, à qui l'on doit une traduction du tchouang-tseu dans cette même collection, aura donc fait beaucoup pour aider les français à comprendre le taoïsme.
Au fait, lao-tseu a-t-il existéoe le tao-tö king est-il ou non antérieur à confuciusoe qu'est-ce au juste que le "non-agir"oe que veut dire, au juste, la première phrase du livre (dont tout dépend)oe une préface d'etiemble, qui fait le point sur les recherches sinologiques, s'efforce de répondre à ces questions.
La relation à l'Autre - assurément un ouvrage des plus ambitieux et des plus neufs - restitue de manière originale l'histoire de la sociologie; montre que celle-ci se structure autour de styles nationaux qui n'ont ni la même origine ni les mêmes objets premiers (par exemple, Durkheim et le défi de l'intégration républicaine; Max Weber et l'interaction des hommes en société ou en communauté; la sociologie anglaise et l'héritage de l'Empire; ou bien encore l'école de Chicago et l'obsession de la ségrégation des Noirs); définit enfin la nature de la sociologie - cet effort de connaissance rationnelle de l'ordre social qui universalise par principe des données objectives toujours particulières.
« Je partage le quotidien mental de Mario Vargas Llosa depuis cinquante ans. Il m'a fallu assumer ses fantasmes et ses obsessions. En vérité, ce que je n'ai pas vécu, je l'ai rêvé. J'ai habité ses rêves, mettant mes pas dans ceux du grand homme, mimant fraternellement ses gestes, choyant sa voix. Moi, son double, son singe. Son autre moi. » Dans cet essai personnel, Albert Bensoussan interroge cette relation si particulière qui unit l'auteur à son traducteur. Il offre la meilleure synthèse de l'oeuvre du romancier hispano-péruvien, Prix Nobel de littérature et académicien français. Il nous fait redécouvrir les multiples facettes de cet auteur tout à la fois réaliste, politique, fantaisiste, épris de liberté, inlassable contempteur des dictatures latino-américaines. Mario Vargas Llosa nous apparaît comme un véritable classique moderne:un contemporain capital.
S'est-il jamais senti de ce monde ? A-t-il jamais perçu une appartenance, une parenté, une filiation ? Henri Michaux semble être né par mégarde et l'existence lui fut souvent à charge. Entre lui et les choses, entre lui et les êtres : un abîme. Un abîme qui déborde d'un bric-à-brac de peurs, de sursauts, de cris, de hantises, de rires cruels, de scalps, d'insomnies.Henri Michaux est singulier parce qu'il est radicalement seul, abandonné, retranché, exclu. Abandonné volontaire, retranché volontaire, exclu volontaire. S'il ne fuit pas systématiquement les autres, s'il se trouve des compagnies, il a en lui ce surcroît de lucidité ou d'alarme qui maintient la distance, ce tranchant de l'intelligence qui coupe jusqu'à l'air du temps.Aussi, quand il aborde un genre littéraire a priori peu fait pour lui, celui très noble des «Pensées», il s'emploie à le détourner, le dévoyer, le mettre en péril et en perdition. Les Poteaux d'angle d'Henri Michaux apparaissent comme les plus égarants et les plus réjouissants poteaux indicateurs jamais offerts au balisage de la raison, de la conscience et de nos comportements grégaires. Ce sont des aphorismes pour vivre à l'écart, des préceptes pour ne pas se laisser faire, des réflexions à contre-norme, des conseils qui n'ont pas de conseils à vous donner.
«Je ne sais pas ce que je suis, mais je sais ce que j'ai lu», confie le romancier argentin Daniel Link au seuil de cet essai délicieusement personnel. Sur un ton à la fois érudit et badin, il nous parle de cette passion de la lecture à travers laquelle il choisit de se définir. Nous découvrons ainsi ses pratiques successives et éclectiques de lecteur en tant qu'écolier, étudiant, éditeur, journaliste et philologue, mais également en tant que citoyen sous la dictature féroce d'une junte militaire qui interdit des livres, persécute des auteurs et criminalise la lecture. Chemin faisant, Link nous donne les clés des bibliothèques qui l'ont accompagné au cours de sa vie et nous présente ses maîtres et ses auteurs de prédilection, passeurs de livres de tous horizons, qui ont notamment pour noms Borges, Sabato, Cortazar et Piglia, ou Saint-Exupéry, Barthes et Deleuze. Hommage à la lecture, cette Autobiographie vient nous rappeler que les textes qui nous marquent nous réapprennent chaque fois à lire différemment, mais nous aident aussi à mieux comprendre qui nous sommes et le monde auquel nous appartenons.
Suivi de Réflexions diverses et Maximes de Madame de Sablé
Fasciné par la machine judiciaire comme par les aperçus des replis de l'âme humaine que lui apporte son expérience de juré, l'écrivain André Gide assiste pendant plusieurs semaines à divers procès : affaires de moeurs, infanticide, vols.
Dans ce texte dense et grave, Gide s'interroge sur la justice et son fonctionnement, mais surtout insiste sur la fragile barrière qui sépare les criminels des honnêtes gens.
«Au seuil de ce livre de traductions j'ai d'abord et surtout le désir de dire l'admiration et bientôt l'affection qui m'ont porté vers cette oeuvre que je voudrais qui vive dans notre langue ; et même celui d'indiquer que cette attention est allée à un texte, bien sûr, mais plus encore à une personne, tant c'est le propre de Yeats d'être présent dans chacune de ses paroles d'une façon si intense et, pourrait-on croire, si transparente qu'on ne peut le lire sans se prêter à son drame, lequel d'ailleurs ne contredit pas sa recherche de poésie : plutôt l'a-t-il dirigée. Yeats ne s'est pas dérobé à l'écriture, à ses prestiges, à ses pièges ; mais il est aussi celui qui, à de grands moments, s'en dégage, comme s'il n'oubliait jamais que les valeurs de l'existence vécue sont de plus de poids pour l'esprit que les labyrinthes pourtant sans nombre qui s'entrouvrent parmi les mots.» Yves Bonnefoy.
Avec cet ouvrage qui fut suivi de Tragédie classique et théâtre du XIXe siècle, «Pratique du Théâtre» a réuni un choix de cours donnés par Louis Jouvet au Conservatoire national d'Art dramatique de novembre 1939 à décembre 1940. Se tenant également éloigné de la doctrine et de la recette, Louis Jouvet tentait, par un dialogue incessant avec ses élèves, de leur faire sentir quel doit être le comportement du comédien dans l'exercice de son métier. Sténographiés et fidèlement transcrits, les cours qui composent ce premier volume concernent l'oeuvre de Molière et la comédie classique. C'est donc à travers les plus grandes scènes de notre théâtre que Jouvet traite notamment de la diction, de la respiration, de l'interprétation du personnage, de la situation dramatique, de l'état physique et psychologique du comédien... Cet enseignement est destiné, selon les propres termes de Jouvet, à éveiller chez l'élève «la vision d'un personnage et, en même temps, la conscience de sa propre sensibilité...», à lui faire découvrir «cette dualité qui va lui servir à établir, d'une part, un procédé d'exécution perfectible et, d'autre part, un moyen de se perfectionner lui-même». Cette préparation minutieuse à la pratique d'un des arts les plus complexes qui soient ne peut manquer de s'accompagner, venant de Jouvet, de digressions des plus fécondes sur le style d'un auteur, l'histoire d'une pièce, l'évolution d'un personnage, les caractères propres à une époque dramatique, enfin sur l'histoire et l'esthétique de cet art dont il fut l'un des plus prestigieux artisans.
Poète amoureux de l'âme parisienne, éternel flâneur qui sait trouver des trésors au coin de la rue la plus anonyme, fargue raconte sa ville dans ce livre célèbre, qui aujourd'hui nous restitue le parfum du paris de l'entre-deux-guerres. Le quartier de prédilection de fargue, peu exploré par d'autres écrivains, c'est le boulevard magenta, belleville, le boulevard de la chapelle, la gare de l'est et la gare du nord, vastes music-halls où l'on est à la fois acteur et spectateur. le titre de ce livre est devenu le nom que l'on donne à fargue. c'est lui qui est à jamais "le piéton de paris". Réédité en tirage limité à l'occasion des trente ans de la collection l'imaginaire, le piéton de paris est ici accompagné d'un cd qui recèle des trésors : léon-paul fargue lui-même, en 1951, parle de sa maladie, et adrienne monnier, la célèbre libraire de la rue de l'odéon, évoque avec tendresse l'amitié qu'elle éprouvait pour fargue, premier compagnon de son épopée littéraire.
Dans son éclairante préface à ce volume entièrement revu et structuré par ses soins, Bertrand Marchal évoque les perspectives de l'entreprise mallarméenne telle qu'elle commence à s'exprimer dans une lettre à Verlaine et telle qu'elle continuera de s'affirmer par la suite. Mallarmé se déclare en quête «d'autre chose» que ce qui fait d'ordinaire l'objet de la poésie. Et précisément, souligne Bertrand Marchal, «autre chose, ce pourrait être au fond le programme, ou le titre de ce volume qui, d'Igitur au Coup de dés en passant par les Notes sur le langage et Divagations, donne toute la mesure, ou la démesure, du rêve mallarméen.»«Rêver autre chose, c'est refuser de réduire la poésie à la production artisanale ou industrielle de vers, c'est manifester que le poète ne saurait se satisfaire d'être un simple versificateur.»«Autre chose - ou, si l'on préfère, le Livre -, note Bertrand Marchal, ce n'est donc pas seulement autre chose par rapport à quelques poèmes plus ou moins satisfaisants ; c'est, bien plus que cela, autre chose par rapport à ce que le poète nomme une formule absolue ; c'est un vide par rapport à un plein ; c'est ce qui donne du jeu, à tous les sens du mot, à une réalité ontologique qui ne peut se dire que sur le mode de la tautologie (N'est que ce qui est ou Rien n'aura eu lieu que le lieu), et qui ouvre par là même un autre lieu ou un autre espace au génie humain.»
«Le chemin que l'on n'a pas pris, au carrefour, ne conduisait pas à un pays autre. Là-bas, ç'auraient été les mêmes horizons qu'ici, les mêmes seuils et les mêmes hommes, au mieux quelque variante sans grand relief au sein d'un unique réel. Et pourtant il est des esprits que cette occasion illusoire ne cessera de hanter. Ils croient côtoyer un arrière-pays qu'à un carrefour nouveau - le hasard aidant cette fois, ou grâce à un signe, soudain compris - ils pourront peut-être rejoindre.Pourquoi cette aspiration, que recouvre-t-elle ? Et quel rapport a-t-elle avec notre besoin d'images, et quel rapport les images ont-elles avec le dessein propre des oeuvres ? Je cherche à définir la réfraction ontologique : par quoi l'unité, cette lumière, ayant à nous atteindre à travers des mots aujourd'hui extériorisés, dévie dans leur épaisseur au point que son origine apparaît ailleurs qu'en l'existence, sa substance autre que celle des actes quotidiens, sa forme trouble, irrégulière, mouvante - ce brisement, toutefois, étant notre imaginaire, ce glissement sur des crêtes au moins l'incitation au désir.»
On aura peut-être été un peu surpris de voir dans ces discours l'accent porté par Camus sur la défense de l'art et la liberté de l'artiste - en même temps que sur la solidarité qui s'impose à lui. Cela faisait certes partie de ce que lui dictaient les circonstances et le milieu où il devait les prononcer, mais il est certain que Camus se sentait accablé par une situation où, selon ses propres paroles, le silence même prend un sens redoutable. À partir du moment où l'abstention elle-même est considérée comme un choix, puni ou loué comme tel, l'artiste, qu'il le veuille ou non, est embarqué. Embarqué me paraît ici plus juste qu'engagé. Et malgré une certaine éloquence - qu'on lui reprochait également - il se sentait profondément concerné et douloureusement atteint par un conflit qui le touchait jusque dans sa chair et dans ses affections les plus enracinées.
Carl Gustav Bjurström.
Pluriel singulier... Ils sont deux, venise et l'auteur. Soixante ans, et plus, d'une union sans nuages. Venise fut toujours fidèle, et lui à venise. Venises n'est pas un portrait de ville ; c'est le portrait d'un homme, dans mille venises : un homme qui n'est pas seulement un auteur. " le mérite de ces pages, dit morand, c'est d'être vécues ; leur réunion, c'est une collection privée, sinon mon musée secret ; chacune présente un jour, une minute, un enthousiasme, un échec, une heure décisive ou une heure perdue. Cela pourra être revécu, récolté par d'autres, par moi jamais plus." Réédité en tirage limité à l'occasion des trente ans de la collection l'imaginaire, venises est accompagné ici d'un cd d'entretiens avec l'auteur, réalisés en 1971 à la sortie du livre . paul morand, le globe-trotter de la littérature, dresse une peinture brillante du monde trépidant d'avant-guerre, offre une vision satirique de notre époque, et parle d'un ton vif et cassant du temps qui s'enfuit.
«Il s'agit de savoir si l'on veut faire un poème ou rendre compte d'une chose (dans l'espoir que l'esprit y gagne, fasse à son propos quelque pas nouveau).C'est le second terme de l'alternative que mon goût (un goût violent des choses, et des progrès de l'esprit) sans hésitation me fait choisir.Ma détermination est donc prise...Peu m'importe après cela que l'on veuille nommer poème ce qui va en résulter. Quant à moi, le moindre soupçon de ronron poétique m'avertit seulement que je rentre dans le manège, et provoque mon coup de reins pour en sortir.»Francis Ponge.
Ces quatre essais, précédés d'une préface inédite de l'auteur, présentent un concentré de la réflexion de Stefan Hertmans sur le langage et son rapport au silence. S'emparant d'une question cruciale depuis le romantisme, le grand écrivain néerlandophone s'interroge:est-il vrai que l'écriture et la parole nous détournent de l'expérience véritable, de la vie? Pourquoi Hofmannsthal, Holderlin, Jakob Lenz et Paul Celan ont-ils décidé de se taire, et quel recours à ce silence pourrait-on trouver dans l'oeuvre de W. G. Sebald?Étude à la fois érudite et limpide, Poétique du silence révèle l'importance de ces plumes germanophones dans la formation philosophique et linguistique de l'écrivain. C'est une nouvelle facette de l'auteur d'Une ascension qui est ici révélée:le romancier à succès est également brillant théoricien littéraire, et son oeuvre s'éclaire ainsi d'une passionnante lumière réflexive sur sa propre pratique.
«Soudain - à la suite de quelle maladresse ? - la tour de mes poèmes s'écroula au sol, se brisa comme verre. Sans doute, forçant l'allure et rencontrant le vide, avais-je voulu saisir, contre son gré, la main du Temps - le Temps qui choisit -, main qu'il n'était pas décidé à me donner encore. Le marteau sans maître, Placard pour un chemin des écoliers, Art bref, Dehors, la nuit est gouvernée, n'avaient plus du livre que le nom. Je ramassai trente-trois morceaux. Après un moment de désarroi, je constatai que je n'avais perdu dans cet accident que le sommet de mon visage.»
Comment un roman peut-il changer le monde? Quels sont aujourd'hui les rapports entre création et société, entre politique et fiction? Deux maîtres de la littérature mondiale tentent de répondre à ces questions et à quelques autres, révélant en même temps les secrets de leur «cuisine littéraire».Selon Vargas Llosa, un livre atteint son objectif quand il est capable de nous extraire de notre quotidien et de nous entraîner dans un monde où la fiction apparaît encore plus tangible que la réalité elle-même. De son côté, Claudio Magris, écrivain du voyage et des frontières, nous montre à quel point la littérature est un espace ouvert où la capacité créatrice de l'écrivain à inventer des fictions rejoint paradoxalement le mouvement de l'écriture vers la vérité.Conduites avec grâce et intelligence par le directeur de l'Institut italien de Lima, Renato Poma, ces quatre conversations entre Claudio Magris et Mario Vargas Llosa mettent en lumière les liens étroits qui existent entre le Nobel péruvien et l'un des plus prestigieux écrivains italiens contemporains.
«Je ne m'étais jamais mise dans les conditions de devoir écrire par obligation», confie l'auteure de L'amie prodigieuse en ouverture de ce recueil. La romancière, dont l'identité n'a jamais été révélée, se dévoile à travers ces cinquante et une chroniques, publiées de façon hebdomadaire dans The Guardian, en 2018. Évoquant tour à tour la société, la politique, l'écriture, le cinéma, la ville, Elena Ferrante parle de son rapport au monde, et nous invite à repenser le nôtre. Son introspection touche à l'universel lorsqu'elle réfléchit aux liens familiaux, amicaux, à la maternité, toujours attentive à affirmer la puissance du féminin.
«Un prophète n'est vraiment prophète qu'après sa mort, et jusque-là ce n'est pas un homme très fréquentable. Je ne suis pas un prophète, mais il arrive que je voie ce que les autres voient comme moi, mais ne veulent pas voir. Le monde moderne regorge aujourd'hui d'hommes d'affaires et de policiers, mais il a bien besoin d'entendre quelques voix libératrices. Une voix libre, si morose qu'elle soit, est toujours libératrice. Les voix libératrices ne sont pas les voix apaisantes, les voix rassurantes. Elles ne se contentent pas de nous inviter à attendre l'avenir comme on attend le train. L'avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l'avenir, on le fait.» Pour la dernière fois, à la veille de mourir, Bernanos jette son défi d'homme libre au monde contemporain, tant il est vrai qu'une des fonctions de l'esprit est de réveiller sans cesse l'inquiétude, et de renverser toutes les garanties du confort intellectuel.