Les ruses de Tom Sawyer sont sans limites. Autant pour déjouer la surveillance de sa tante Polly que pour attirer l'attention de la jolie Becky Thatcher. Ou pour mettre en scène sa propre mort et celle des membres de sa « bande ». en s'offrant le plaisir d'assister en cachette à leur éloge funèbre, prononcé dans l'église de St. Petersburg devant le village en pleurs. Mais le jour où Tom et Becky se perdent dans le dédale souterrain d'une grotte, privés de lumière, d'eau et de nourriture, les ruses et l'imagination ne suffisent plus.
Les Aventures de Huckleberry Finn ont récemment été classées par le magazine Time, au terme d'une enquête menée auprès de 125 auteurs anglo-saxons, parmi les 5 romans les plus importants de l'histoire (aux côtés de Tolstoï, Flaubert, Nabokov).
Dès la première phrase, Huck Finn - le roman, le personnage - se démarquent de leur prédécesseur Tom Sawyer : « Vous savez rien de moi si vous avez pas lu un livre qui s'appelle Les Aventures de Tom Sawyer, mais ça n'a pas d'importance. Ce livre, c'est M. Mark Twain qui l'a fait, et il a dit la vérité vraie, en grande partie. » Suivent 450 pages d'une langue inouïe, concrète, imagée, percutante et drôle, faite de plusieurs langages - celui propre au personnage et ceux des autres protagonistes, notamment de Jim, l'esclave noir, ou du père de Huck sous l'emprise de l'alcool, dans l'un des innombrables morceaux de bravoure du roman.
Ce second volume raconte les aventures de "Huck" Finn, le meilleur ami de Tom Sawyer, qui tente d'échapper à son père violent et alcoolique en se faisant passer pour mort. Huck rencontre un esclave noir, Jim, en fuite car on le soupçonne d'être le meurtrier... de Huck précisément. Tous deux veulent gagner les États abolitionnistes du Nord des États-Unis en remontant le Mississippi sur un radeau de fortune.
A l'aide d'une seule phrase ("J'aimerais mieux pas"), Bartleby - clerc comme l'avait été Melville - par ce qu'il n'est que cette phrase, ouvre un trou béant dans le monde matériel que rien ne peut venir colmater, dans le monde supposé fermé du langage. Apparemment, seul Bartleby est capable de logique. Si nous rions, à la lecture de ce texte, c'est de son entourage, car de Bartleby, comment pourrions-nous rire ?
Sur la côte ouest de l'Écosse, Alasdair Mor exploite la petite ferme familiale, seul après la mort de son père et le départ pour la ville de son frère. Il vit de la pêche au homard. Il aime profondément la nature sauvage et grandiose qui l'entoure. Mais un couple s'installe dans les environs, et le vol et le mal font irruption dans sa vie. Cela entraînera un affrontement et une poursuite hallucinante à travers les collines sauvages.
Au-delà des personnages austères et attachants, les véritables héros du livre sont l'océan, le vent glacial et la lande inhabitée. Les descriptions de la mer ou du passage des saisons vers un inévitable « coeur de l'hiver » sont inoubliables.
Ce texte poétique et lyrique aux accents steinbeckiens est écrit dans une langue magnifique.
Huck Finn, le camarade vagabond de Tom Sawyer, est retenu prisonnier par son père ivrogne dans une cabane au fond des bois. Il s'échappe, se réfugie sur l'île Jackson, où il retrouve Jim, l'esclave en fuite de miss Watson. Avides d'aventures et de liberté, tous deux commencent à descendre le Mississippi sur un radeau. Mais à chaque étape du voyage, toutes sortes d'événements surviennent qui obligeront Huck à prendre de graves décisions.
Sa découverte, en Jim, d'un être humain semblable à lui marque une date dans l'éveil de la conscience antiraciste américaine.
Trois Américains, intrigués par des légendes locales, découvrent sur une haute montagne un pays grand comme la Hollande. Devenus les premiers mâles à visiter Herland en près de deux mille ans, ils y découvriront, à leur grand étonnement, une société entièrement féminine.
Herland est l'une des utopies féministes les plus réussies qui furent jamais écrites. Paru en 1915 sous forme de feuilleton dans le magazine de Charlotte Perkins Gilman, The Forerunner, qu'elle rédigeait en totalité, y compris les annonces publicitaires, ce roman rencontra un grand succès en son temps avant d'être oublié pendant plusieurs dizaines d'années. Redécouvert par la nouvelle génération féministe des années 1960, Herland paraît pour la première fois en poche.
Voici un ouvrage resté longtemps méconnu en France, par un des romanciers anglais les plus populaires du XIXe siècle, Charles Dickens. Pourtant il retrace le destin d'un clown, certes, mais d'un clown comme on n'en avait guère vu jusqu'alors.
La vie du grand Joe Grimaldi, son aventureuse carrière, nous dévoilent quelques-uns des plus curieux aspects des moeurs britanniques, des théâtres aux bas-fonds. Le hasard, en semant bien des incidents étranges, des rencontres dramatiques, des péripéties bizarres dans l'existence de ce comédien, semble s'être complu à lui faire un sort extraordinaire et à le désigner ainsi à l'attention des biographes.
Et Dickens n'est pas n'importe quel biographe. À vingt-cinq ans et sous le pseudonyme de Boz, il a déjà prouvé son étonnant talent de conteur. S'il reprend alors les Mémoires de Grimaldi, c'est sans doute qu'il a reconnu, en cet enfant prodige, son double.
Mark Twain a écrit plusieurs récits qui ont l'argent pour thème.
Dans son récit le plus célèbre, l'homme qui corrompit Hadleyburg (1899), le mirage d'un sac de pièces d'or entraîne la déchéance morale d'une austère ville de province.
Dans ce récit les instruments de la farce sont un sac, une lettre dans une enveloppe à ouvrir tout de suite, une lettre dans une enveloppe à ouvrir plus tard, dix-neuf lettres identiques envoyées par la poste, diverses missives et apostilles qui tournent toutes autour d'une phrase mystérieuse, authentique formule magique: à celui qui la connaît reviendra le sac d'or.
Dans les romans du XIXème siècle, l'argent occupait une place importante : force motrice de l'histoire chez Balzac, pierre de touche des sentiments chez Dickens; chez Mark Twain, l'argent est jeux de miroirs, vertiges du vide.
Ce roman a connu une carrière posthume extrêmement troublée, en raison à la fois de la censure exercée par la famille et l'exécuteur littéraire de Twain, mais aussi de la dispersion de ses papiers.
Ce sont des versions amputées (voire réécrites !) qui avaient paru jusqu'à la publication récente, par l'université de Californie, du véritable manuscrit. C'est donc cet inédit, sous copyright, que le lecteur français va découvrir aujourd'hui. Son étonnement sera considérable à la lecture d'un texte d'une noirceur et d'un nihilisme absolus, même si le récit, situé dans la montagne d'Autriche au 15e siècle, est à nouveau l'occasion de vérifier les fabuleuses qualités de conteur de Twain. Le fait qu'au coeur de cette histoire, et de ce roman testamentaire, il soit question de l'imprimerie et de la naissance du livre sous la forme que nous lui connaissons encore actuellement, ajoute une dimension particulière à ce chef-d'oeuvre crépusculaire. Jack Kerouac, qui le plaçait plus haut que tout, disait de Numéro 44, le Mystérieux Etranger qu'il était même « supérieur au Billy Budd de Melville ».
Vers la fin des années 1960, un homme, David Rodinsky, disparaît : la pièce qu'il occupait au-dessus de la petite synagogue de Princelet Street, dans le quartier de Whitechapel à Londres, restera intacte pendant plus de dix ans. L'univers de Rodinsky était celui des Juifs d'Europe de l'Est, un monde nourri des mystères de la Kabbale, où les langues et leurs secrets étaient une source inépuisable de magie. Ce monde fut aussi celui d'une perte épouvantable. Rodinsky capture l'imagination d'une jeune artiste, Rachel Lichtenstein, dont les grands-parents ont quitté la Pologne dans les années 1930 pour s'établir dans l'East End de Londres. Iain Sinclair lui assure : « Cette pièce est un piège. » Sinclair et elle ont écrit un livre qui retrace la quête de Lichtenstein, partie à la recherche de Rodinsky, et nous présente les méditations de Sinclair sur le voyage de la jeune artiste dans son propre passé.
Traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner et Marie-Claude Peugeot.
Nvoyé au bagne pour avoir vandalisé des parcmètres, Luke Jackson s'y lie d'amitié avec un autre détenu, Dragline, et devient très populaire grâce à son flegme et sa joie de vivre contagieuse, mais aussi parce que c'est un homme insoumis. Son personnage, symbole de la cool attitude et emblématique de son époque, finit par incarner une sorte de mythe anticonformiste. Un mythe que les forces de l'ordre ne toléreront pas très longtemps... Porté à l'écran par Stuart Rosenberg, avec Paul Newman (1967).
Composé de treize récits très différents dans leur forme, «Contrenarrations» transporte le lecteur du Brésil colonial du XVIIe siècle au Paris de la Belle Epoque, en passant par l'Amérique de la guerre de sécession... John Keene met en scène des personnages, fictifs ou réels - on croise entre autres, le poète Langston Hughes, le penseurs W. E. B. Du Bois, le compositeur Bob Cole ou encore les Jim et Huckleberry Finn de Twain - en restituant la force de ces destins individuels. La sorcellerie et bien d'autres formes de puissance humaine vibrent à travers ces textes qui revisitent l'histoire de l'esclavage des noirs et de leurs descendants. Par son audace formelle, son inventivité, son ambition autant que par la véritable puissance narrative qui l'anime, «Contrenarrations» s'impose comme l'oeuvre majeure d'une nouvelle voix de la littérature afro-américaine.
Un corridor étroit. L'écho de caquetages et de sanglots. Et cette patiente ? une vieille femme, une très vieille femme, clouée au sol. Le psychiatre Zachary Busner s'approche. Choqué, il recule. Que fait-elle dans cet asile d'aliénés ? Après cinquante ans d'une profonde léthargie, Zachary la réveille : dans le récit torrentiel de toute une vie, il entreprend de démêler l'énigme Audrey Death.
La suite de l'autobiographie rédigée par l'auteur américain dans les quinze dernières années de sa vie. Il s'agit à la fois du récit de sa vie personnelle, marquée par son amour pour l'écrit, et d'un portrait des Etats-Unis.
«J'ai découvert Gilbert Sorrentino un très beau jour de 1980, en prenant au hasard (?) un livre publié par Picador sur une tour Martello de livres dans un aéroport; il s'agissait justement de Mulligan Stew; ce livre m'a introduit à la littérature américaine contemporaine - disons d'une partie de cette littérature, les Gaddis, Gass, Coover, Davenport, Elkin, Goyen, Toby Olson, Coleman Dowell, etc. Sorrentino, décédé l'année en 2006, est l'auteur de plus d'une douzaine de romans, d'un recueil d'essais et d'une quinzaine de recueils de poésie. J'ai traduit à ce jour huit de ses livres (Red le Démon, Steelwork, Petit Casino, Mulligan Stew/Salmigondis, La Lune dans son envol, Aberration de la lumière et La Folie de l'or).
Peu d'écrivains ont autant mis l'accent sur le refus d'écrire des histoires réalistes, avec une intrigue «minutieusement composée, intéressante, pleine de suspense», des personnages «plausibles, plein de substance et de motivation», un décor «qui vous rappelle quelque chose», au contraire, il insiste sur le fait qu'il n'y a là que de l'encre sur du papier, que sa création est pure imagination; et pourtant le Brooklyn de ses livres, les personnages qui s'y trouvent sont d'une humanité étincelante - qu'il s'agisse de gens ordinaires, pauvres et sans espoir, ou du monde artificiel des arts (qu'il ne cesse de fustiger). Son oreille exceptionnelle lui permet de jouer de la langue anglaise comme d'un instrument, de la tordre, de la déformer, tout en restant constamment d'une grande lisibilité. Même lorsqu'il caricature un mauvais écrivain, son style est incomparable. Le tout est un mélange de noirceur extrême et d'humour, de dérision et d'humanisme dans lequel le lecteur pénètre pour ne plus en ressortir.» Bernard Hoepffner Bien que l'oeuvre de Gilbert Sorrentino soit en partie plongée dans le Brooklyn de son enfance dont il fait revivre la langue, elle est également très proche de la culture européenne et de certaines recherches formelles. N'a-t-il pas lui-même énuméré quelles nécessités sous-tendaient son écriture? Un souci obsessionnel de la structure formelle.
Une aversion pour la répétition de l'expérience. L'amour de la digression et de la broderie. Un grand plaisir à donner des informations fausses ou ambiguës. Le désir d'inventer des problèmes que seule l'invention de formes nouvelles peut résoudre?
Et la joie de se faire une montagne d'une taupinière.» Dernier livre de Sorrentino, Abyss of human illusion fut publié après sa mort en 2007. Il se compose de cinquante courts textes.
Le refus de la connaissance scolaire par les fils d'ouvriers et le sentiment qu'ils "en savent plus" font écho à l'idée très répandue dans les classes populaires de la supériorité de la pratique : "Un brin de zèle vaut une bibliothèque de diplômes", annonce un grand placard placé dans l'atelier.
L'aptitude pratique vient toujours en premier ; elle est préalable à toute autre forme de savoir. Alors que le petit-bourgeois considère les diplômes comme un moyen d'accroître les choix qui s'offrent à lui, du point de vue de la classe ouvrière, si le savoir ne se justifie pas, il faut le rejeter. De l'école à l'usine, ce livre rend compte de la façon dont, en désorganisant l'encadrement scolaire, en s'opposant aux "fayots", "les gars" privilégient leur sortie du système scolaire, anticipant le fait que l'école ne leur promet aucun avenir collectif en dehors du travail manuel.
Ce classique de la sociologie du monde ouvrier est suivi d'un entretien avec l'auteur réalisé en 2011 et d'une postface de Sylvain Laurens et Julian Mischi.
Thomas Westfi eld, gentilhomme anglais sou rant d'insomnie, engage Samuel Goldberg afi n que celui-ci lui fasse la lecture jusqu'à ce que le sommeil le gagne. Tirant son principe narratif des Variations Goldberg de Bach, Gabriel Josipovici fait fuguer, en trente chapitres qui sont autant de variations stylistiques, son personnage lui-même et des thèmes qui lui sont chers dont le mariage et l'amour, l'art et la mélancolie, l'incroyable fertilité de la fi ction. Il en surgit un roman qui n'a rien d'académique, une oeuvre excitante et joyeusement libre.
H. D. (Hilda Doolittle, 1886-1961), poète américaine, est une pointe du triangle dont les deux autres seraient Ezra Pound et William Carlos Williams. C'est au bas d'un de ses poèmes, "Hermes of the Ways" qu'en septembre 1912 Ezra Pound inscrivit "H.D. Imagist"; première mention de l'imagisme et de ces initiales qui désormais remplaceront son nom.
Malheureusement trop longtemps considérée comme une émule fidèle de l'imagisme et membre de l'écurie d'Ezra Pound, ce n'est que depuis peu (en partie du fait de l'essor du féminisme) que sa poésie, et surtout ces derniers livres, War Trilogy (1973), Helen in Egypt (1961) et Hermetic Definition (1972) sont apparus comme l'oeuvre d'une poète majeure en quête d'un "gnosticisme" moderne et explorant la psyché, l'histoire, les mythes et les traditions de l'humanité.
Trois recueils de poésie ont été publiés en France : Hélène en Égypte et Le Jardin près de la mer aux éditions de la Différence, dans la traduction de Jean-Paul Auxeméry, et Hermetic Definition aux éditions Tarabuste, traduit par Marie-Françoise Mathieu.
La Trilogie, terminée en 1944, représente le sommet de l'art poétique de H.D., après un peu plus d'une demi-douzaine de recueils et de romans publiés entre 1916 et 1940, elle rédige ce long poème en trois parties où, sortant de la veine imagiste de ses débuts, elle compose une épopée sur le bombardement de Londres qu'elle lie avec les mythes égyptiens, grecs et chrétiens, créant de la sorte une immense fresque sur le rôle de la poésie dans un monde en guerre.
Dans Le Mythe de l'éternel retour, Mircea Eliade exprime très bien ce que faisait H.D. : " Par la répétition de l'acte cosmologique, le temps concret, dans lequel s'effectue la construction, est projeté dans le temps mythique, in illo tempore où la fondation du monde a eu lieu. Ainsi sont assurées la réalité et la durée d'une construction, non seulement par la transformation de l'espace profane en un espace transcendant, mais aussi par la transformation du temps concret en temps mythique. " H.D. passe continuellement du microcosme du poète qui observe ce qui l'entoure, " me cramponnai au brin d'herbe/ au dos d'une feuille ", au macrocosme de la guerre " dans la pluie des incendiaires ", comme encore dans le dernier poème de la première partie : " Et pourtant les murs ne tombent pas, / je ne sais pas pourquoi ; // un sifflement : zrr, / éclair dans une dimension / in-connue, non-déclarée " ; chacune de ses observations - peur, panique des bombardements, destruction du monde connu - sont alors creusées, approfondies, reliées à l'histoire mythique ancienne et moderne. Ainsi les murs détruits, " des portes tordues sur leurs gonds, / et les linteaux penchent // en diagonale ", ouvrent sur un autre paysage, une autre vision, bien plus vaste : " nous nous rendons // dans une autre cave, vers un autre mur tranché / où de pauvres ustensiles sont montrés / comme des objets rares dans un musée ", celle par exemple du quatrième chapitre des Nombres, ou Moïse et Aaron posent les ustensiles sur l'arche de l'oracle. B.H.
Tancredo Pavone est un compositeur d'avant-garde dont la vie est rapportée au fil d'un entretien avec Massimo, son ancien domestique - entretien qui constitue la structure même du roman.
Massimo se souvient de l'ego surdimensionné comme des opinions très tranchées que son maître auraient tenues, donnant parfois le sentiment de ne pas avoir tout à fait conscience de ce qu'il rapporte. Vérité ou imagination ? Au fur et à mesure de ses propos se dessine peu à peu le portrait complexe et contrastée de Pavone - un homme qui donne voix à la musique en lui -, et le lien très singulier qui lie deux hommes socialement aux antipodes.
Infini - l'histoire d'un moment décortique le processus créatif musical sans rien perdre de l'originalité de son "sujet" hors norme jusqu'au comique.
Cette année-là, en 1939, dans la pension du New Jersey où ils passent les vacances, à la campagne, le jeune et enthousiaste Billy Recco, dix ans, est en quête d'un père, Marie Recco ; sa mère, née McGrath, jolie trentenaire fraîchement divorcée, coincée entre son fils et son père, étouffe du sentiment de ne pouvoir vivre pleinement sa vie ; John McGrath, veuf austère et aigri, soucieux des convenances, est en proie à une maladive inquiétude quant à ce qu'il qualifie d'"instabilité" chez sa fille, cependant que Tom Thebus, commercial passablement décomplexé, s'emploie à précipiter l'affrontement entre aspirations de Marie et courroux paternel.
Se déroulant sur trente-six heures seulement, l'action du roman de Gilbert Sorrentino culmine avec la désastreuse tentative de séduction de Marie par Tom. À mesure que l'on change de point de vue, passant d'un personnage à l'autre, quatre histoires distinctes se détachent, quatre récits que l'écrivain enrichit progressivement de toute une panoplie de procédés littéraires fantaisistes et ludiques : bribes de souvenirs, lettres, jeu de questions-réponses d'une partialité poussée à son paroxysme, fragments de dialogues qui rejouent à l'infini des scènes fondatrices du passé ou renvoient à des notes de bas de page pour le moins originales, toutes plus ironiques les unes que les autres. Fascinantes, inoubliables, chacune de ces voix contribuent à faire apparaître un complexe et douloureux motif en forme de rêves impossibles et d'efforts n'obtenant nulle récompense.
Fort d'une intime compréhension de quatre individus dont l'intégrité et les bonnes intentions sont constamment - et tragiquement - contrariées, mais néanmoins empreint d'un subtil humour, Aberration de lumière recrée magistralement une époque, un lieu et capture dans son essence même la tristesse d'existences qu'empoisonne la frustration tout en offrant une brillante étude psychologique sur un palpitant huis-clos familial.
Ned Kelly, espèce de Billy the Kid australien, est un voyou légendaire né en 1854 (ou 55) et condamné à la pendaison en 1880.
Il avait constitué un gang qu'il entraînait dans toutes sortes de méfaits, du vol à la mort d'homme. Lui se considérait comme un justicier en guerre contre l'ordre établi... Avant son ultime affrontement avec la police, il a cherché à faire publier cette lettre par laquelle il justifie ses actions et proclame son innocence ! Parfaitement illettré, il a rédigé un texte qui pourrait être une réussite de l'Art brut en littérature.
Tout y est, à proprement parler, surprenant : le vocabulaire imagé, la ponctuation très approximative, des descriptions de personnages désopilantes.
Au cours de leurs marches incessantes à travers parcs et rues de Londres, Jack Toledano raconte à son ami Damien Anderson qu'il travaille depuis des années sur Moo Pak, magnum opus perpétuellement inachevé, dont il échoue à produire ne serait-ce qu'une ligne.
Un paradoxe qui n'est que l'une des nombreuses ironies de ce roman dont le thème central est le langage lui-même, symboliquement exprimé au travers de Moor Park, manoir qui au fil du temps a abrité Jonathan Swift, un asile d'aliénés, un centre de décodage durant la Deuxième Guerre mondiale, un institut dédié à l'étude du langage chez les primates et, pour finir, une école où un jeune illettré s'efforce d'écrire " l'istoir de Moo Pak ".
Monologue d'un seul paragraphe et palimpseste virtuose, Moo Pak passe en revue les thèmes qui ont préoccupé Gabriel Josipovici ces vingt-cinq dernières années. Un livre conduit avec brio, légèreté et fluidité.
À presque soixante ans, Nik Cohn se retrouve plongé dans l'univers hip-hop de la Nouvelle Orléans, pas seulement comme observateur mais comme participant actif dénicheur de talents, parolier, et aspirant producteur. Depuis l'émergence du rap dans les années 70, Nik Cohn a toujours à la fois haï et adoré ce courant musical. Il en va de même pour la Nouvelle-Orléans, ville qui l'obnubilait depuis l'enfance. Mais rien ne le préparait à se voir propulsé, plus ou moins par accident, dans le rôle de Triksta, impresario de rap.
Le héros vieillissant de ce roman, Keith Nearing, se remémore l'été de ses vingt ans, en 1970, quand eut lieu un mystérieux événement qui bouleversa sa vie sexuelle et donc son existence entière. Dans un château en Italie, piégé dans l'histoire de la 'révolution sexuelle', il hésite entre trois femmes : sa petite amie Lily, Shéhérazade, l'objet de ses fantasmes, et la très troublante et très 'virile' Gloria. Ce sont les obsessions de l'auteur qui, dans ce roman à idées, se font jour : l'identité masculine, l'impossible rapport entre les sexes, la hantise de l'anéantissement, le malaise du corps.
Cette évocation de la libération des moeurs dans les années soixante-dix brille par l'intelligence provocante de sa vision. Excédant les limites du roman à thèse, Martin Amis demeure avant tout un immense styliste, à l'écriture vigoureuse, aux trouvailles fulgurantes, inimitables. Il est ici au mieux de sa forme, plus audacieux que jamais.