La trajectoire de Joseph Conrad, ce sont deux vies successives et apparemment opposées : une carrière de marin qui dure vingt ans (de 1874 à 1894) et lui fait parcourir le monde, puis trente ans de quasi immobilité en Angleterre où va naître son oeuvre.
Il n'en bougera que pour de brefs séjours en France, en Italie, en Suisse, en Pologne, aux États-Unis. Est-il devenu un autre homme, ce " capitaine de marine " qui, comme le note plaisamment son ami le sculpteur Jacob Epstein, " détestait le grand air " ? Ce qui est sûr, c'est que le petit Polonais Konrad Korzeniowski est devenu le grand écrivain anglais Joseph Conrad. Suivant tour à tour cinq pistes - Où Conrad a-t-il voyagé ? Quand ? Comment ? En quelle compagnie ? Pourquoi ? -, Sylvère Monod se livre à une exploration pleine de finesse et de perspicacité, nous donnant à voir l'homme Conrad, sous tous ses aspects.
Mais surtout, il met peu à peu en lumière la relation entre la vie et l'écriture, le marin ayant engrangé dans son subconscient le matériel de l'oeuvre futur, tout entier projeté déjà, sans le savoir, vers ce qui va devenir la grande aventure de la vie de Conrad : la littérature. Car jamais ne se dément l'extraordinaire faculté d'observation, d'enregistrement, d'assimilation, de recréation imaginative de celui qui, du fond de sa campagne anglaise, se souvient de " l'Orient, parfumé comme une fleur, silencieux comme la mort, sombre comme une tombe ".
Né Américain mais habitué dès son plus jeune âge à de longs séjours sur le Vieux Continent, Henry James a oscillé toute sa vie entre sa "yankeetude inexorable" et sa fascination pour les moeurs et la culture des Européens. Il choisit la citoyenneté britannique en 1915, un an avant sa mort.
Les lettres, très largement inédites en français, que Laurent Bury a choisies au coeur de son abondante correspondance pour composer ce recueil, reflètent les émotions de James voyageur, ses enthousiasmes et ses désarrois, ses rencontres et ses découvertes, avec une vigueur et une spontanéité qui disparaissent le plus souvent de ses textes de fiction, plus policés. A travers ses ambivalences et ses contradictions, on y lit, comme l'explique Evelyne Labbé dans son éclairante préface, "une tension intime entre son besoin profond d'assimilation". Ainsi, James passe constamment du désir de voyaher à celui de se fixer. S'il lui faut "imbiber [son] éponge intellectuelle" en accumulant un capital d'impressions et de sensations nouvelles, il vit et voyage en quelque sorte "au futur antérieur", anticipant déjà ce que le souvenir fera de cette réalité afin que l'oeuvre advienne. Car, pour James, "c'est l'art qui fait la vie, l'intérêt, l'essentiel".
Les illustrations de ce livre sont empruntées au photographe américain Alvin Langdon Coburn. Certaines avaient été choisies par James lui-même pour figurer en frontispice de l'édition américaine de ses oeuvres en vingt-cinq volumes.
Sa rencontre avec une Allemande mariée et mère de trois enfants, Frieda von Richthofen, en 1912, vouera D.
H. Lawrence à une errance à laquelle ce fils de mineur du Nottinghamshire, instituteur et romancier de 27 ans, n'était nullement promis. Un exil qui ne s'achèvera qu'avec sa mort, en France, en 1930 - à Vence où mourut un autre exilé, Witold Gombrowicz. L'Italie accueille pour un temps le couple illégitime et Lawrence conservera une tendresse particulière pour ce pays où il ne cessera de revenir pour en célébrer " l'indicible beauté ", de Capri à Taormina, du lac de Garde à la Sardaigne.
Autre lieu-clé pour l'auteur du Serpent à plumes : Taos et le Nouveau Mexique, où l'écrivain, ulcéré par ses déboires avec la censure anglaise, croira avoir trouvé un monde neuf, libéré de l'homme et de ses lois. Il y aura aussi Ceylan, l'Australie, Mexico, la Californie... De chaque lieu nouveau, Lawrence saisit immédiatement la singularité. La vivacité de perceptions, la grâce de son écriture nous en restituent toute la fraîcheur, en même temps que nous y percevons comme en écho les grands thèmes qui vont structurer l'oeuvre.
Outre ses emprunts aux récits de voyage - qu'elle a retraduits pour l'occasion - et à deux essais posthumes jamais publiés en français, Françoise du Sorbier a puisé l'essentiel des textes présentés ici dans la correspondance de Lawrence. De ces lettres, inédites en français, se dégage le portrait incroyablement vivant et attachant d'un Lawrence quasi inconnu : non pas l'écrivain scandaleux, auteur de Lady Chatterley, mais l'homme, avec sa sensibilité exacerbée, sa franchise, ses coups de gueule, son humour, et cette énergie inépuisable - cette " fontaine continuellement jaillissante de vitalité " dont le créditait Aldous Huxley.