De Walter Benjamin, nous avons l'image d'un homme de bibliothèque plutôt que d'un voyageur. Pourtant, ce fut un intellectuel en mouvement, transportant avec lui ses livres aux quatre coins de l'Europe, de Paris à Moscou et Riga, en passant par l'Italie, l'Espagne, le Danemark ou la Norvège. Avec, en perspective, d'autres rivages plus lointains, et jamais atteints : la Palestine, New York. De façon générale, Benjamin privilégie les villes plutôt que la nature, et dans les villes, les ports, les foires, les marchés, lieux de la confrontation brutale entre les désirs humains et le triomphe de la marchandise. Mieux que les essais théoriques, sociologiques ou critiques du penseur, ses écrits de voyage permettent de découvrir un Benjamin écrivain, portant sur les lieux, les êtres, et sur les objets les plus modestes un regard d'une intensité sans pareille.
" Voyager avec Derrida revient d'abord à découvrir que tout ce qui, en Occident, s'est appelé "voyage" [...], a toujours présupposé, comme sa condition de possibilité, une solidarité indéfectible, voire une synonymie entre deux termes : dériver et arriver [...].
La logique d'une telle solidarité présuppose que tout ce qui arrive dérive ; cet axiome commande le rapport essentiel que le voyage entretient avec la destination, avec l'événement, avec la vérité. " Comme si elle feignait de chercher, dans de nombreux textes de Derrida, une boussole perdue, un principe de destination (ou de désorientation), Catherine Malabou explore l'expérience autant que la pensée du voyage.
Elle dessine, sans carte, trois voies : - 1 la déconstruction du schéma dérivatif qui soutient traditionnellement l'odyssée du sens, - 2 l'esquisse d'une traversée biographique, - 3 l'abord de l'autre et l'imminence de l'arrivant absolu. Lui-même en voyage, d'Istanbul à Laguna en Californie, de Turin à Baltimore, de New York à Tunis, entre la Pologne, Israël et la Palestine, Jacques Derrida confie en contrepoint (ou contre-allée) ses réflexions à Catherine Malabou alors qu'il attend puis lit son texte.
Il lui rappelle les origines du redoutable mot " voyage " dans sa vie - et son amour mortel pour tant de lieux. Une correspondance se cherche ainsi entre deux traversées, elle parie sur la perte dont on part - et la chance du départ : " D'une certaine façon, il n'y a peut-être de voyage digne de ce nom que là où, à tous les sens de ce mot, on se perd, on le risque, sans même prendre ou assumer ce risque : non pas même de se perdre mais d'être perdu.
Pour soi. N'accorder de privilège, ergo, à aucun de ces trois mots : " Où suis-je ". "
Marguerite Duras n'aimait pas voyager. Elle a certes vécu jusqu'à la fin de son adolescence en Indochine, mais les descriptions de paysages du bout du monde dont son oeuvre abonde relèvent plus de l'imaginaire que du souvenir, et c'est d'une relecture de L'Ancien Testament qu'elle s'inspirait pour décrire la lumière et l'espace de Palestine.
Laure Adler, qui a de Marguerite Duras et de son oeuvre une connaissance profonde et empathique, a composé un itinéraire qui, de la mer à la mort, en passant par le temps suspendu des dimanches aux colonies, par l'Italie des soirs d'été " où le Campari apaise la soif des amants ", nous entraîne à la redécouverte d'une oeuvre parmi les plus originales du XXème siècle. " Tout bouge, tout tremble, tout tangue quand son écriture nous prend ", écrit Laure Adler. " Duras nous envoûte, nous déstabilise et nous entraîne à marcher dans les rues en gardant les yeux grands ouverts sur l'apparente banalité du monde. " Duras avait le goût des maisons et des lieux où inventer à partir de trois fois rien un monde, son monde. Son appartement des Roches-Noires à Trouville fut un de ces lieux magiques. Dominique Issermann qui y fut sa voisine nous invite, à travers les trente photographies qui ponctuent ce livre, à revisiter l'univers de Marguerite Duras : sa maison, ses objets - coquillages, vestiges divers rejetés par la mer, bouts de tissus, vaisselle ébréchée, menus trésors amoureusement collectés et disposés, qui lui étaient à eux seuls tout un voyage.
Pour la première fois dans notre collection : des photographies en couleur.
Dès ses premières lectures d'enfant, Larbaud est hanté par le désir de partir. Très jeune, sa mère l'emmène découvrir la France et l'Europe du Sud, puis, à sa majorité, une tournée d'affaires avec l'avoué de la famille le mène jusqu'à Istambul et Saint Pétersbourg. Plus tard, le riche amateur privilégiera l'Angleterre et l'Espagne, ces deux pays d'Extrême-Occident. C'est aussi dans les littératures que ce vagabond sédentaire voyage : saisi par la passion linguistique, il apprend l'anglais, l'allemand, l'espagnol, l'italien.Traduit Walt Withman, Samuel Butler,William Faulkner, Ramon Gomez de la Serna. En voyage, Larbaud tient régulièrement son journal. Béatrice Mousli en donne ici des pages inédites, celles d'un Journal de Vaduz tenu lors d'un voyage au Liechtenstein en 1933 et la première partie de Notre semaine albanaise qui couvre une cure à Challes les Eaux et une lente traversée de l'Italie avant de s'embarquer pour l'Albanie en 1935. Avec érudition et sensibilité, Béatrice Mousli nous entraîne sur les traces de cet homme attachant, au style d'une aristocratique simplicité, curieux de tout, flâneur heureux qui voyait dans chaque ville européenne un quartier de ce «pays Europe» idéal dont il se rêvait le citoyen.
Plus que le goût des voyages, c'est l'espoir d'attiser en Europe la flamme révolutionnaire qui attire le jeune Marx hors de sa Prusse natale, en 1843.
Mais il sera bientôt expulsé de Bruxelles, puis de Paris, et interdit de séjour dans son pays ; il a 31 ans lorsqu'il trouve refuge à Londres en 1849. Désormais apatride, Marx résidera jusqu'à la fin de sa vie en Angleterre, non loin de son ami Engels. Les voyages qu'il effectue pendant les trente quatre ans qu'il lui reste à vivre obéissent à des impératifs financiers, familiaux ou médicaux - en Hollande, il va tenter d'obtenir un peu d'argent de son oncle banquier, à Paris, il vient voir ses filles, et ses problèmes de santé le conduisent régulièrement à Karlsbad pour des cures, sur la Côte d'Azur, et jusqu'en Algérie.
Marx n'a rien d'un touriste. Les paysages ne retiennent guère son attention, les individus qu'il croise à peine davantage. Ce qui intéresse avant tout le fondateur de la Première Internationale, ce sont les hommes étudiés à travers les livres, les journaux et les rapports des économistes et des historiens. Pour satisfaire cette curiosité insatiable, il apprendra plusieurs langues et fréquentera assidûment les bibliothèques.
Ainsi Jean-Jacques Marie nous le montre-t-il décrivant avec un luxe de détails, sur des bases parfois essentiellement livresques, les dures conditions de travail des enfants et ouvriers anglais ou des paysans valaques de Moldavie, ou encore racontant, comme s'il y avait assisté, un épisode crucial de la guerre de Sécession. Accablé dans sa vie quotidienne par de multiples difficultés, Marx aura finalement consacré sa vie à un voyage grandiose à travers l'histoire universelle et à la réalisation de sa phrase fameuse : " Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c'est de le transformer.
"
Annemarie Schwarzenbach se disait marquée par « la malédiction de la fuite ». Soucieuse de prendre ses distances avec un milieu familial qui l oppresse et la culpabilise, elle illustre aussi le « déracinement historique » de toute une génération après l effondrement des valeurs qui a résulté de la Première Guerre mondiale.Ses voyages sont de deux sortes, auxquelles correspondent deux styles d écriture. En Europe et en Amérique, elle part à la rencontre des autres. Ses reportages - textes et photos - dénoncent l injustice sociale (aux Etats-Unis en proie à la Grande Dépression) et la menace des libertés démocratiques en Espagne, à Moscou, en France, en Allemagne où elle voit avec anxiété grossir le « nuage noir » du nazisme. Les articles qu elle publie dans la presse suisse, les lettres qu elle adresse à ses amis (Klaus Mann, Claude Bourdet), témoignent d une conscience exigeante, révoltée.En Afrique, en Asie, elle poursuit une quête intime de sens, de vérité, qui prend une forme plus littéraire. C est en Orient, pour elle, que « bat le coeur du monde ». Ses voyages au Congo, en Turquie, en Perse, en Irak, en Afghanistan, sont comme un retour aux origines - origines de l Europe, innocence originelle d une humanité qu elle voit ailleurs emportée par un soi-disant progrès qui se révèle en réalité un facteur d abaissement. C est sous ces cieux-là qu en de rares instants de plénitude, cette mélancolique invétérée communie avec la « joyeuse sérénité de la terre ».
Simenon entretenait avec le voyage un rapport ambivalent, sa mobilité et sa curiosité insatiables contrastant avec le caractère statique d'une oeuvre où l'homme apparaît partout le même et le monde fondamentalement sans surprise. C'est cette contradiction qu'explore Benoît Denis, en puisant dans les nombreux reportages que Simenon réalisa pour de grands quotidiens dans les années 1930. Entre 1931 et 1935, Simenon parcourt le monde sur un rythme effréné : l'Europe du Nord jusqu'au cercle polaire, l'Europe de l'Est, la Turquie, l'Amérique centrale, les Galapagos, Tahiti, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, Ceylan, et bien sûr l'Afrique noire, de l'Egypte au Congo belge. Il se déclare lui-même en quête non " pas de pittoresque, mais à la recherche des hommes ", avide d'" aller droit devant [lui], le nez au vent, à humer les odeurs, à écouter des bruits, à happer des bribes de conversation et à [se] remplir les yeux d'images ". Partout il saisit le réel, se l'approprie, prompt à dévoiler l'envers du décor, à repérer les signes d'un monde en crise et d'une civilisation occidentale en déclin. Les voyages ont en fait représenté pour l'écrivain l'étape préliminaire à l'élaboration d'une vision de l'homme qu'il développera dans son oeuvre romanesque. " Comme si seul la fiction était à même de surmonter la solitude radicale à laquelle condamne la rencontre de l'altérité ", remarque Benoît Denis. D'où peut-être le double contraste entre le regard froid et distant du reporter - au style néanmoins nerveux et émotif - et l'empathie réelle du romancier exprimée dans un style presque neutre. Les photos prises par Simenon, largement inédites, traduisent avec force la curiosité parfois impitoyable de son regard qui fouille, avide de retrouver partout " l'homme nu ".
Citoyen anglais élevé aux Indes, Durrell adopte la Grèce pour seconde patrie dès l'âge de 23 ans, en 1935, et c'est l'Égypte qui va lui inspirer son chef-d'oeuvre, Le Quatuor d'Alexandrie.
Il y décrit une ville-lumière fascinante, enchanteresse et érotique - "grand pressoir de l'amour" -, étourdissante de vie, et en même temps ville d'ombre, de secrets et d'intrigues, torturée, maléfique. Le British Council l'envoie à Buenos Aires, le Foreign Office, à Belgrade, mais toujours son tropisme le ramène vers le soleil grec. Et c'est en Provence qu'il choisira de passer les trente dernières années de sa vie.
Expatrié, puis réfugié, Durrell souffre de "l'exil qui ratatine le coeur dans son enveloppe". Et toute son oeuvre tente de réconcilier passé et présent, Orient et Occident, à travers une quête spirituelle originale qu'illustre également sa peinture, comme en témoignent les tableaux très peu connus présentés ici. Puisant dans ses récits de voyage, ses poèmes et sa correspondance - notamment avec Henry Miller, son ami pendant quarante-cinq ans -, Corinne Alexandre-Garner revisite une oeuvre foisonnante et complexe où l'écriture sensuelle, solaire donne à voir non seulement des lieux aimés mais aussi des paysages intérieurs contrastés, un espace psychique parfois très sombre, marqué par "la pérennité du désespoir, l'irréductibilité du langage, l'impénétrabilité de l'art et l'insipidité de l'amour humain".
Né à Paris, " c'est-à-dire nulle part ", dit-il, Michel Tournier passe ses vacances d'enfant entre la Bourgogne, Villers-sur-Mer sur la côte normande et Fribourg en Brisgau en Allemagne, trois univers qui, avec les livres, nourriront son imaginaire d'écrivain. Plus tard s'y ajouteront Arles et la Méditerranée, le Maghreb.
Pour préparer puis promouvoir ses livres, Tournier voyage, de l'Islande au Japon, en passant par le Canada, le Brésil. Il fait le tour du monde comme le héros des Météores, sillonne le Sahara pour écrire La Goutte d'or, séjourne au bord de la Mer Morte pour Gaspard, Melchior et Balthasar. " Ecrivain géographique ", comme il se définit lui-même, il voyage beaucoup et loin mais pour de brefs séjours, écartelé entre un désir de " perpétuelle pérégrination " , de " chasse cosmopolite à la chair, aux images et aux paysages ", et la tentation d' " une vie coite, casanière, tapie à l'intérieur d'une forteresse de livres ".
Arlette Bouloumié montre brillamment comment la double culture franco-allemande de Tournier, la prégnance de ses souvenirs et impressions d'enfance, la philosophie, " clé multiple " pour accéder au monde, nourrissent une oeuvre d'une extrême richesse conceptuelle, d'imagination et d'écriture. Pour Michel Tournier, tout déplacement géographique amorce " une mue en profondeur ", voire une initiation - comme l'illustrent ses personnages, aussi bien le Robinson de Vendredi, que Tiffauges, le prisonnier de guerre en Prusse-Orientale du Roi des Aulnes, ou Jean, le héros des Météores, qui parcourt le monde en quête de son jumeau disparu.
Nul doute que le voyage soit un angle privilégié pour découvrir une Beauvoir intime et méconnue. La « jeune fille rangée » découvre le monde après sa rencontre avec Sartre, en 1929 : ce seront dans les années trente l'Espagne, l'Angleterre, l'Allemagne, et surtout l'Italie, qui deviendra pour elle comme une « seconde patrie ». Plus tard viendront les grands voyages politiques : l'URSS, la Yougoslavie, Cuba, la Chine, l'Egypte, le Brésil, les États-Unis. Éric Levéel a puisé dans l'oeuvre autobiographique et dans la correspondance les pages les plus significatives : on y découvre une femme d'une curiosité insatiable, enchantée par la beauté du monde, qu'elle goûte avec sensualité et dépeint dans un style vif, précis et souvent empreint d'un lyrisme qu'on n'attendait pas de sa part. Il apparaît, au terme de cette lecture, que le voyage fut un des éléments clés de l'expérience existentialiste de Simone de Beauvoir : « tout voir », afin de « tout connaître » et de « tout comprendre ». S'abandonner à l'exaltation de l'inconnu pour s'arracher à soi-même, chercher dans le foisonnement du monde une illusion d'infini.
Le Corbusier, qui symbolise l'architecture moderne au même titre que Picasso la peinture, fut aussi " plus secrètement poète ", comme le déclara André Malraux.
En témoignent les récits et impressions de voyages, le plus souvent ponctués de croquis, rassemblés ici par Philippe Duboÿ. Parus dans différents journaux et revues de 1911 à 1947, ils n'avaient jamais été republiés tels quels. On y suit Le Corbusier dans ses " voyages de jeunesse " - itinéraire classique qui passe par l'Italie, la Grèce, l'Orient -, puis partout en Europe et lors de ses " voyages intercontinentaux ", en Amérique du Sud, à New York.
Parcourant le monde à la recherche d'une identité et d'une culture d'architecte, il empruntera à la Grèce l'idéal d'une architecture qui englobe le site tout entier, tandis que Rome le convaincra de la grandeur d'oeuvres utilitaires telles que barrages, usines ou ponts. Sensible à la " sécurité spirituelle merveilleuse " qu'assure aux Occidentaux leur tradition, Le Corbusier reste curieux de tout, prompt à " quitter les pantoufles et encourir l'aventure ", l'esprit ouvert.
Au contact d'autres civilisations, son " Occident s'effrite, écrit-il, se débarrasse de ses étroitesses gênantes, de ses poussières d'épiderme mort. L'essentiel surgit décanté : l'homme, la nature, le destin ". C'est à travers le croquis que la décantation se fait. Comme si la plume, instrument de " l'âme qui ressent ", disait d'abord " avec des mots sincères le Beau rencontré " - d'où le style passionné, lyrique, riche en envolées poétiques et formules chocs.
Puis, à la plume succède le crayon, instrument de " l'esprit qui mesure ", épure, dégage les lignes fortes. Ainsi Le Corbusier formule-t-il et donne-t-il à voir à chaque page la démarche du poète-architecte voyageur qu'il fut, dans un dialogue fécond entre le mot et le trait.
Dick n'avait aucun goût pour le voyage, au sens concret du mot. Il ne sortit que très rarement de sa Californie natale, si ce n'est pour se rendre, parfois, à des conventions de SF : une fois au Canada, où il se comporte étrangement ; une autre fois à Metz, où il prononce un discours mémorable et délirant. On retrouvera ces épisodes, transposés et magnifiés, dans son oeuvre. Quand Dick voyage, souvent sous l'effet de l'herbe, du LSD, des amphétamines, il écrit. Et quand il écrit, les aventures cosmiques dans lesquelles il entraîne son lecteur se passent essentiellement dans la galaxie des neurones. Dick est un grand dynamiteur de frontières... du sens commun. Avec lui, le doute s'installe : plus rien n'est stable, ni le temps, ni l'espace, ni le moi. Le réel se décompose en configurations de réalité. Le passé se modifie sournoisement, plusieurs présents se superposent, on se rencontre soi-même dans des univers parallèles. Ainsi le voyageur dickien se trouve-t-il emporté dans une spirale vertigineuse où l'impossible n'est jamais que du possible inexploré. Dépossédé de son ego, il gagne une disponibilité affolante.
«Le voyage, comme la lecture, l'amour ou le malheur, nous offre d'assez belles confrontations avec nous-mêmes, et fournit de thèmes notre monologue intérieur.» Ce monologue, nourri du spectacle du monde, Marguerite Yourcenar l'amorce dès l'enfance, et le poursuivra toute sa vie en parcourant et reparcourant inlassablement l'Europe, puis l'Amérique et l'Asie. Cette Française, née à Bruxelles en 1903, se fera naturaliser américaine en 1947, suite à sa rencontre avec Grace Frick.
Yourcenar n'a jamais fréquenté l'école ; ce sont la lecture et les voyages qui l'ont formée. Qu'elle évoque la Grèce, l'Italie, l'Espagne ou le Japon, la Thaïlande, la Russie, le Canada, elle fait preuve d'une érudition étourdissante, relayée par une grande sensibilité aux hasards et à l'éphémère des rencontres, et surtout à la nature - et aux destructions que lui inflige l'homme. Si le voyage est à ses yeux le moyen de se libérer des préjugés, de l'étroitesse d'esprit aussi bien que des enthousiasmes naïfs, c'est aussi l'occasion de vérifier que l'humanité est partout la même, soumise aux mêmes épreuves et aux mêmes maux.
Le voyage, pour Yourcenar, se double d'une aventure intérieure, d'un itinéraire spirituel : il s'agit de «s'éprouver à la pierre de touche d'une terre et d'un ciel différents», de trouver sa juste place dans un temps si chichement mesuré et, puisque «l'irréversible commence à chaque coin de rue tourné», de se préparer au Voyage final.
Michèle Goslar a enrichi son parcours à travers l'oeuvre en y incluant plus d'une cinquantaine de pages inédites de Marguerite Yourcenar.
Le livre est illustré de photographies de Carlos Freire.
Une légende tenace voudrait que l'auteur de a la recherche du temps perdu, malade et tout à son oeuvre, n'ait guère quitté sa chambre tapissée de liège du 102, boulevard haussmann.
Même si, dans la dernière partie de sa vie, l'écrivain limite ses sorties au paris nocturne, il faut bien considérer que, depuis son enfance jusqu'en 1914, marcel proust a voyagé comme tout le monde - ou presque.
Comme tout le monde, il a pris l'omnibus pour auteuil, le train pour chartres, illiers, la normandie, les villes d'eau, la hollande, venise. comme tout le monde, il est monté à cheval et à dos de mulet ; il a emprunté des voitures attelées et des bateaux à vapeur ; il a aimé ramer et pêcher en mer.
Privilégié parmi ses contemporains, il a pu apprécier l'automobile à ses débuts et toucher du doigt ses rêves de yatchs et d'aéroplanes.
Si la correspondance révèle une chronique prosaïque et des parcours sans gloire, un voyageur extraordinaire apparaît pourtant, guidé dans ses songes par " l'indicateur des chemins de fer ". on quitte alors la réalité pour aborder " la vraie vie " qui est, selon l'écrivain, la littérature.
Là, transfigurés par la poésie du romancier, les voyages intérieurs, ceux de la création, entraînent le lecteur dans " l'ailleurs " infini de l'espace et du temps.
Voyages réels, villégiatures, voyages dans l'art, voyages rêvés, itinéraires en zig-zag de la vie et de la mémoire, voyages recréés, ; tout se mêle dans les livres. pour voyager avec marcel proust, anne borrel met en scène un kaléidoscope de textes inattendus et de pages admirables.
Découvrir l'écrivain en voyage, le suivre dans son oeuvre au long cours, n'est-ce pas partir soi même à la recherche de ses propres terres inconnues, courir l'aventure vers une lecture nouvelle ?.
" Du plus loin qu'il m'en souvienne, toujours cette envie d'être ailleurs, implacable, tenace comme une lésion, et les atlas toujours grand ouverts ", écrit Paul Morand en 1926.
Jusqu'à la fin de sa vie, ce goût ne se démentira pas. De son premier voyage en Angleterre, en 1908 - Londres ou sa " première expérience des chemins du monde " -, à ses ultimes séjours en Tunisie, en Sicile, à Jersey l'année même de sa mort, 1976, Morand n'a cessé de hanter de nouveaux horizons, amoureux du mouvement plus que du voyage, précise-t-il : " Je n'aurai pas honte de ma vie tant qu'elle sera mobile ".
C'est d'abord la carrière diplomatique qui lui fournira l'occasion de séjourner à Londres (1914-1916), de passer un an à Rome, dix-huit mois à Madrid, de découvrir Moscou en 1923, Bangkok en 1925, et beaucoup plus tard Bucarest. Avec sa femme Hélène Soutzo, épousée en 1927, Morand parcourra le globe. Ce seront de fréquents et parfois longs voyages en Afrique, en Amérique du sud, à New York, en Egypte et en Palestine, des croisières en Méditerranée, aux Antilles, aux Caraïbes.
Souvent, ces voyages aboutiront à des livres.
C'est la conjonction de sa passion du mouvement et de l'extrême acuité de son regard de " parfait observateur tranquille ", comme le qualifie Michel Bulteau, qui donne aux récits de voyage de Paul Morand une qualité et un pouvoir de séduction exceptionnels. Un regard d'aigle, un sens du détail signifiant, une plume acérée, une capacité à saisir en quelques phrases sèches, en une formule brillante et indémodable, la spécificité d'un lieu à un moment donné - quel écrivain français aura su rendre New York d'une manière aussi juste - font de Morand un témoin irremplaçable.
Michel Bulteau a choisi d'évoquer sur le mode chronologique ce Paul Morand voyageur au talent incontesté.
Les portraits de villes - Londres, New York, Bucarest - alternent avec les principaux " raids " de Morand sur les différents continents, évoqués dans ses livres les plus célèbres, Rien que la terre, Paris-Tombouctou, Air indien ou Hiver caraïbe. Mais cette anthologie se trouve enrichie par la republication de textes rares : Conseils pour voyager sans argent (1930), Route de Paris à la Méditerranée (1931), Vevey (1955) ainsi que la première partie du Carnet de Venise (1975).
Dans un cahier écrit à l'âge de 18 ans, François Maspero se définissait déjà comme un « globe-trotter en disponibilité ». Depuis, s'il a effectivement parcouru le monde, ce fut en homme essentiellement sensible aux « paysages humains », animé d'un profond esprit de solidarité, prompt à s'indigner devant l'injuste et l'insupportable. Qu'il évoque ses voyages réels à Cuba, en Bosnie, aux Caraïbes, en Palestine ou dans « l'immense géographie des mots » ( en lisant Bougainville ou John Reed), ses souvenirs d'enfance (transposés en fiction), son itinéraire de traducteur, ses amis photographes (Klavdij Sluban, Anaïk Frantz), Maspero sait que, pour celui « qui ne se lasse pas de découvrir l'humanité dans son infinie diversité », tout est dans le regard : il doit savoir « conjuguer la proximité et la juste distance ».
Française née en Belgique, naturalisée américaine en 1947, Marguerite Yourcenar fut une grande voyageuse, et ce dès l'enfance, grâce à son père, un anticonformiste fortuné et nomade. Pendant la Première Guerre mondiale ils vivront en Angleterre, à Paris, à Menton, à Monte Carlo, puis dix ans en Provence. Vers vingt ans, elle visite, seule, l'Italie. Après la mort de son père en 1929, elle partage son temps entre Paris, la Belgique, la Hollande, l'Italie et les pays d'Europe centrale. La Grèce, qu'elle découvre en 1934, la marque profondément. La rencontre avec l'Américaine Grace Frick en 1937 lui ouvrira les portes d'un nouveau continent. Dès lors, elle partagera sa vie entre le calme de Mount Desert Island, dans l'Etat du Maine, où elle écrit, et de longs voyages en Europe, jusqu'en Russie, puis au Japon et en Inde.
Elle n'a jamais fréquenté l'école ; ce sont la lecture et les voyages qui l'ont formée. D'où, sans doute, son appréhension d'abord livresque des lieux. Qu'elle évoque la Grèce, l'Espagne ou le Japon, Yourcenar fait preuve d'une érudition étourdissante, relayée par une grande sensibilité aux hasards et à l'éphémère des rencontres, et surtout à la nature (et aux destructions que lui inflige l'homme). Elle traque, en moraliste, l'uniformité cachée sous la variété des apparences. Si le voyage est à ses yeux le moyen de se libérer des préjugés, de l'étroitesse d'esprit aussi bien que des enthousiasmes naïfs, c'est aussi l'occasion de vérifier que l'humanité, au-delà des différences culturelles, est partout la même, soumise aux mêmes épreuves et aux mêmes maux.
Le voyage, pour Yourcenar, se double d'une aventure intérieure, d'un itinéraire spirituel : il s'agit de « s'éprouver à la pierre de touche d'une terre et d'un ciel différents », de trouver sa juste place dans un temps si chichement mesuré et de se préparer au Voyage final.