A Vérone, où les Montaigu et les Capulet se vouent une haine ancestrale, Roméo, fils de Montaigu, est amoureux de Rosaline, tandis que Capulet s'apprête à donner une grande fête pour permettre à Juliette, sa fille, de rencontrer le comte Pâris qui l'a demandée en mariage. Parce qu'il croit que Rosaline s'y trouvera, Roméo se rend au bal et pour Juliette éprouve un coup de foudre aussitôt réciproque. Sous le balcon de la jeune fille, il lui déclare le soir même son amour puis, le lendemain, prie frère Laurent de les marier et de réconcilier leurs familles ennemies. Mais voici que sur une place de Vérone, Tybalt, cousin de Juliette, provoque Roméo qui refuse de se battre. Mercutio, son ami, dégaine à sa place, mais lorsque Roméo voit Mercutio mortellement frappé par Tybalt, il décide de le venger : Tybalt tombe à son tour, et ce qui était une comédie vire à la tragédie.
Si, dans cette pièce que Shakespeare compose vers 1595, les amants de Vérone sont ainsi promis au tragique, c'est que le destin leur est hostile. Star-crossed lovers, Roméo et Juliette sont seulement nés sous une mauvaise étoile : ils ne sont victimes ni d'une faute ni de leur amour, mais d'une suite de circonstances malheureuses qui mettront à mort cet amour et feront de leur histoire, pour plusieurs siècles, un mythe.
Édition de François Laroque.
Édition de Bénédicte Louvat-Molozay.Assis seul, Argan détaille des factures d'apothicaire lorsque Toinette, sa servante, entre dans sa chambre. Il l'interroge sur son lavement, demande s'il a bien fait de la bile, à quoi Toinette répond qu'elle ne se mêle point de ces affaires-là. Consciente que les maux de son maître sont imaginaires, elle ne se prive pas d'ajouter que, pour son médecin et son apothicaire, il n'est rien d'autre qu'une « bonne vache à lait ». Molière lui-même joue le personnage d´Argan le 10 février 1673, lors de la création de sa pièce au théâtre du Palais-Royal, et meurt sept jours plus tard, à l´issue de la quatrième représentation. De cette « comédie mêlée de musique et de danses » où son oeuvre s´achève, c´est la puissance comique qui, bien sûr, a fait la fortune. Mais c´est aussi une pièce à thèse : le dramaturge ne se moque pas seulement des médecins de son temps, mais après Le Tartuffe, il dénonce plus profondément en eux de nouveaux imposteurs.
Quand j'appris, au cours de recherches sur la justice de l'épuration, que Pierre Laval, lors de sa dernière nuit, avait eu pour interlocuteur René Bousquet dans sa cellule à Fresnes, je demeurai étonné. Aucune mention n'est faite du contenu de cet entretien dans les ouvrages consacrés au procès et à l'exécution de Laval, en octobre 1945. À l'évocation de cette ultime rencontre entre ces deux hommes marqués d'infamie, mon imagination s'éveilla. Chacun avait oeuvré, dans le cadre de ses fonctions sous Vichy, à la réalisation de crimes contre l'humanité. À défaut de connaître la vérité, j'imaginai cet ultime dialogue entre Laval, qui sait qu'il va mourir, et Bousquet, convaincu qu'il sortira au mieux de son épreuve judiciaire.
R. B.
Que savais-je d'Oscar Wilde quand je me suis penché sur son destin judiciaire ? Je n'ignorais pas qu'il avait été poursuivi en raison de pratiques homosexuelles, condamné à une peine d'emprisonnement, et qu'il était mort à Paris à l'aube du XXe siècle, misérable et rejeté par la société qui l'avait tant fêté. Demeurait cependant dans sa vie cet épisode singulier. Il m'apparut que la poursuite et la condamnation de Wilde pouvaient se révéler riches d'enseignements. Voici, un écrivain célèbre que la justice de son pays, réputée dans toute l'Europe pour son respect des droits de la défense, a condamné, pour homosexualité, à deux années de travail forcé, en cellule solitaire. Il en sortit brisé, ruiné et déshonoré. Pareille tragédie judiciaire sur fond de répression victorienne de l'homosexualité méritait d'être présenté au public français. Ce qui fut fait. Jorge Lavelli en assura la mise en scène au Théâtre de la Colline. Roland Bertin incarna le personnage de Wilde. A eux et à tous les comédiens et techniciens qui les entouraient, ma reconnaissance est acquise.
R. B.
Marianne, une jeune Napolitaine de dixneuf ans que sa mère a mariée à un vieux juge, n'a d'autre distraction que de se rendre à l'église plusieurs fois par jour. En chemin, elle rencontre son cousin Octave qui, auprès d'elle, plaide la cause de son ami Coelio, trop timide pour déclarer son amour. Elle commence par le rabrouer puis, par un revirement qui est un caprice, accepte d'entrouvrir sa porte à un amant. Mais lequel ? La romance va tourner au drame... En 1833, lorsqu'il fait paraître sa pièce qui ne sera portée à la scène qu'en 1851, dans une version d'où il aura gommé les allusions sexuelles et religieuses, Musset y voit une comédie. Mais c'est une comédie au dénouement tragique et qui déroute la tradition : par leur ton poétique, leur inspiration fantaisiste, leur légèreté de composition, Les Caprices de Marianne renouvellent profondément l'écriture dramatique. Quant à leur héroïne, plus révoltée sans doute qu'écervelée, elle incarne la liberté d'une femme qui refuse de se voir dicter sa conduite amoureuse.
Une chance merveilleuse a fait que nous sont parvenues, sur un même épisode de la légende des Atrides, trois tragédies grecques du ve siècle avant notre ère : une tragédie d'Eschyle, Les Choéphores, l'Électre d'Euripide et l'Électre de Sophocle.
Elles constituent un ensemble unique. Alors que tant de poètes tragiques ont, tout au long de l'époque classique, puisé dans les mêmes mythes les thèmes de leurs drames, la vengeance du meurtre d'Agamemnon par Oreste et sa soeur Électre est le seul sujet sur lequel sont arrivées jusqu'à nous trois tragédies intégralement conservées, dont chacune fut composée par l'un des trois grands poètes tragiques.
Réunies en un seul volume et traduites par le même traducteur, les trois pièces sont analysées et annotées de façon à ce qu'apparaissent clairement échos, diver-gences et innovations ; autant de signes par où s'expriment l'originalité et le génie de chaque poète.
Molière George Dandin Un mari soupçonne sa femme de le tromper et cherche à la surprendre. Sa balourdise fait qu'il échoue chaque fois à la confondre et se ridiculise devant ses beaux-parents qu'il veut prendre à témoin de l'inconduite de leur fille : les coupables triomphent quand la victime est, à l'inverse, réduite à une humiliante soumission.
Créée en 1678 dans le cadre d'un plus large divertissement royal, la pièce est désormais jouée seule, et ses trois actes y gagnent sans doute en âpreté et vivacité satirique. Vivacité parce que George Dandin tient de la farce - et on trouvera ici La Jalousie du Barbouillé qui en est une sorte de première ébauche - aussi bien que de la grande comédie. Mais âpreté aussi, car les épreuves subies par le mari bafoué en font une des pièces les plus sombres de Molière.
Edition présentée et annotée par Jacques Morel.
Amphitryon, général des Thébains, a chargé son valet Sosie de prévenir sa femme Alcmène du succès qu'il vient de rencontrer au combat. Mais le dieu Mercure a écarté Sosie et s'est présenté à Alcmène sous ses traits. Le vrai Sosie doit avouer à son maître qu'il n'a pas accompli sa tâche et la stupéfaction d'Amphitryon s'accroît lorsqu'il découvre le peu de joie que sa femme manifeste à le revoir. Elle s'étonne, puisqu'elle a passé la nuit avec lui... Mais c'est Jupiter qui s'était introduit auprès d'elle sous l'apparence de son mari.
Si Molière se réapproprie en 1668 cette fable mythologique venue de Plaute, avant que Giraudoux n'en fasse Amphitryon 38, c'est qu'elle porte en elle l'essence même du théâtre où l'apparence devient un moment le réel. Mais de ce sujet profond, Molière fait une comédie drôle car Amphitryon et Sosie sont pleinement joués par leur double et l'on comprend que le mari, bafoué par un Jupiter avatar de Don Juan, puisse s'affliger de son reflet... C'était d'ailleurs l'avis de Paul Léautaud : « Amphitryon, c'est l'apothéose du cocuage », « il y a dans les vers de Molière, dans cette oeuvre, avec une grâce et une sensualité infinies, une moquerie et une bouffonnerie irrésistibles ».
Présentation et notes de Jean-Pierre Collinet.
En 1860, un carrossier enrichi décide de fêter sa retraite et la fin des études de sa fille Henriette par un voyage en chemin de fer qui le conduira en Suisse avec sa famille. Mais deux jeunes gens le suivent qui, l'un et l'autre épris d'Henriette, vont s'attacher, dans une lutte loyale et amicale, à obtenir la main de celle-ci. Le Voyage de monsieur Perrichon doit sans doute au vaudeville toute la vivacité de son intrigue et la légèreté de son écriture. Mais c'est aussi une comédie de caractère qui n'oublie pas Molière, un portrait-charge de la vanité bourgeoise en ces années du Second Empire où triomphe l'argent et où s'affiche la prospérité. « Je trouve monsieur engraissé », dira le domestique à son maître : « On voit qu'il a fait un bon voyage. » Edition de Yannic Mancel
Dans une Arménie soumise à la Rome impériale, un jeune seigneur, Polyeucte, époux de la fille du gouverneur, se fait baptiser en secret à l'instigation de Néarque, son ami chrétien. Prié d'assister peu après à un sacrifice qui célèbre le retour d'un général romain, il perturbe le rituel en proclamant sa foi et entreprend de briser les statues du culte païen. Ni les prières de son épouse, ni les supplications de son beau-père ne lui feront renier son acte.
Quand Corneille, dans le courant de l'hiver 1642-1643, porte sa tragédie à la scène, la singularité de son Polyeucte martyr - qui reprend l'histoire d'un saint authentique et s'inspire discrètement d'une pièce italienne - est d'associer la figure du chrétien et celle du héros de tragédie. «Si mourir pour son prince est un illustre sort, / Quand on meurt pour son Dieu, quelle sera la mort ?» Le martyre est ainsi une forme d'héroïsme. Mais la violence iconoclaste de Polyeucte est-elle d'un chrétien ou bien plutôt d'un fanatique comme le pensait Voltaire ? C'est peut-être de ce fanatisme que la pièce, aujourd'hui, tire son actualité.
Edition de Claude Bourqui et Simone de Reyff.
Dans le lointain passé médiéval d'une île écossaise, Lady Janet et Lord Slada, deux amants pourchassés par le roi jaloux, ont trouvé asile dans un cloître où poussent des plantes vénéneuses. Ils s'aiment, mais ils ont faim : mangeront-ils ? Aïrolo, un voleur vagabond plein de jovialité, vient à leur secours et il sait qu'il risque d'être pendu par le roi. Mais comme une sorcière a prédit au monarque superstitieux qu'il mourrait juste après Aïrolo, il ne peut que céder au chantage du vagabond.
Ecrit en 1867, pendant l'exil de Hugo à Guernesey, Mangeront-ils ? fut publié après sa mort dans le Théâtre en liberté, et joué pour la première fois en 1907. Or c'est bien de liberté qu'il s'agit dans cette pièce où volent en éclats les normes dramatiques et où, de manière plus puissante encore que dans son théâtre romantique, l'écrivain allie le sublime et le grotesque pour ici mettre en scène la révolte contre la tyrannie - celle-là même qu'incarne alors à Paris Napoléon iii. Ce que nous disent ainsi les alexandrins virtuoses de Hugo, c'est ce que lui-même appelle « la puissance des faibles ».
Agrippine, veuve de Germanicus, veut se venger de l'empereur Tibère et de Séjanus, son favori, qu'elle tient pour responsables de la mort de son époux. Séjanus, qui désire secrètement Agrippine, décide de s'allier à elle pour renverser l'empereur. Tibère, qui jalouse la popularité d'Agrippine et craint pour son trône, veut se débarrasser d'elle... S'engage alors un jeu de dupes étourdissant, fait de mensonges et de dissimulation, où règne la violence.Unique tragédie de Cyrano de Bergerac, taxée d'impiété à sa sortie, oubliée puis redécouverte sur le tard, La Mort d'Agrippine décrit un monde en perdition, d'une noirceur inouïe. Dans une langue ciselée et redoutable, l'auteur déploie tout son talent de dramaturge et nous livre un chef d'oeuvre sulfureux où rayonne, en creux, la pensée des libertins érudits.Édition de Françoise Gomez.
"Je n'ai plus que ce jour, que ce moment de vie :
Pardonnez à l'amour qui vous la sacrifie, Et souffrez qu'un soupir exhale à vos genoux, Pour ma dernière joie, une âme toute à vous." En vertu d'un traité, la Princesse d'Arménie Eurydice doit épouser le Prince héritier des Parthes, Pacorus, alors qu'un amour partagé mais secret l'attache à Suréna, le glorieux vainqueur des Romains grâce à qui le roi des Parthes a retrouvé son trône. Le secret découvert, Suréna est sommé de renoncer à Eurydice et de se plier à la volonté de son roi.
Héros parfait, Suréna est trop glorieux pour ne pas susciter la jalousie de son monarque, mais également trop amoureux pour lui céder. Politiquement coupable, mais humainement innocent, il est de son destin d'aller à la mort plutôt que de renoncer à aimer, comme celui de son roi est d'aller à la chute en se faisant tyran. En 1674, Suréna est la dernière pièce de Corneille. C'est également la plus tragique.
Dans L'Orestie, après le meurtre d'Agamemnon par sa femme Clytemnestre à son retour de Troie (Agamemnon), Eschyle met en scène la vengeance d'Oreste (Les Choéphores) puis le procès où s'affrontent, devant un tribunal fondé pour l'occasion, l'Aréopage athénien, les Érinyes, antiques déesses de la vengeance, et les « nouveaux dieux » que sont Apollon et Athéna (Les Euménides).
Jamais, chez les Atrides, depuis le crime d'Atrée, qui avait massacré les enfants de son frère, le meurtre n'avait cessé de répondre au meurtre. À travers leur histoire, la trilogie d'Eschyle fait apparaître le passage progressif de la violence à l'ordre, et la naissance d'un droit civique qui se substitue à la vendetta familiale et à la justice archaïque fondée sur un talion rigoureux. À la fin de l'ouvrage, un texte de Paul Demont revient sur l'analyse des Euménides de l'historien Christian Meier, (L'Invention du politique), en rapport avec les théories de Carl Schmitt sur le processus de la décision judiciaire et politique.Traduction de Victor-Henri Debidour.
Introduction d'Anne Lebeau. Dossier de Paul Demont.
« Un amant qui se désole, un maître peu rusé, un moine mal morigéné, un parasite, enfant gâté de la malice, voilà pour aujourd'hui votre passe-temps » : c'est ainsi que Machiavel décrit les protagonistes de La Mandragore dans le prologue. Car la pièce est l'histoire d'une tromperie jouée à un maître florentin qui se croit très malin et qui, sans s'en rendre compte, se laisse entraîner dans une histoire extravagante afin que sa femme tombe enceinte... Le rythme de la pièce est parfait, l'orchestration des dialogues et de l'action gérée avec une maestria digne d'un grand metteur en scène.
Dans cette comédie, qui fut représentée pour la première fois en 1520, Machiavel démontre de façon éblouissante qu'il a su s'approprier la tradition comique des auteurs latins, tels Plaute et Térence, et la réinventer en lui imprimant un nouveau souffle. Même si le regard désenchanté et lucide de l'homme politique, celui qui, notamment dans Le Prince, analysait les hommes sans complaisance, n'est pas absent.