Quatrième de couverture Freud avait un faible pour les histoires de « marieurs » dont on trouvera plusieurs échantillons savoureux dans ce livre. C'est que le Witz - le mot ou le trait d'esprit met en rapport des choses et des pensées hétérogènes : il les condense, il les combine ou, mieux, il les marie, le plus souvent dans une mésalliance qui déclenche le rire de l'auditeur et surprend même celui qui l'énonce. Le Witz réussi a la fulgurante de l'éclair. Le mot d'esprit est ici analysé, dans sa technique et dans ses visées, comme le furent, quelques années plus tôt, le rêve et les actes manqués. C'est qu'il est comme eux, aux yeux de Freud, une formation de l'inconscient plus qu'une production volontaire. Le mot d'esprit ou l'esprit des mots.
La métaphore du théâtre est en psychanalyse, depuis l'invocation par anna o.
De son " théâtre privé ", habituellement associée à l'hystérie. joyce mcdougall en généralise l'emploi : toute psyché est théâtre, tout " je " est répertoire secret de personnages oubliés, méconnus, en quête d'auteur et de drame, toute psychanalyse est une scène oú se répètent, se déploient et se transforment les scénarios inconscients. ces scénarios, l'auteur les découvre dans ce qu'elle nomme le théâtre de l'interdit, qui reste marqué par å'dipe, et le théâtre de l'impossible, modelé par narcisse.
En fait ces deux modalités se conjuguent sans cesse. comme le montrent les nombreux cas ici analysés avec une acuité peu commune. plus que les névroses classiques, ce sont les formes les plus déroutantes de la psychopathologie que ce livre envisage théoriquement et cliniquement : la " sexualité addictive ", la " néo-sexualité " de la perversion, les " psychosomatoses " on encore l'" alexithymie ", incapacité d'exprimer et même de ressentir tout affect de plaisir ou de douleur.
Autant de mises en acte violentes qui recouvrent, plutôt qu'elles ne l'excluent, une mise en scène complexe. c'est bien souvent quand les mots manquent que l'inconscient est le plus demandeur et quand le plateau paraît désert que la représentation, bouffonne ou tragique, est le plus traversée de bruit et de fureur.
Winnicott, dont l'interlocuteur privilégié était l'enfant, se méfiait du langage trop savant des psychanalystes.
Il aimait rencontrer ce qu'il appelait des "mères ordinaires" et s'adresser aux auditoires les plus variés pour traiter aussi bien de la dépression que de l'adolescence, du mur de berlin que de la pilule ou encore de la monarchie britannique.
On trouvera dans ce volume, outre des articles parus dans des revues non spécialisées, des causeries prononcées devant des médecins ou des professeurs de mathématiques, des travailleurs sociaux ou des féministes.
Le propos n'est pas d'enseigner mais de converser et, sans avoir l'air d'y toucher, de jeter quelque trouble dans les idées reçues de tout un chacun. pour ce faire, rien de plus efficace qu'une pensée complexe dans des mots simples : rien de plus tonique que la fraîcheur d'esprit, le paradoxe et l'humour.
Laurie, Marcia et Joey, le petit garçon "mécanique": trois enfants autistiques enfermés dans leur forteresse vide, figés dans leur mutisme et leur monde fantasmatique.
Trois enfants parmi d'autres qui sont tenus pour incurables, avec lesquels Bruno Bettelheim et son équipe ont tenté d'entrer en communication - on verra au prix de quels efforts et de quels aléas. C'est donc moins l'histoire de cas qui nous est ici rapportée que celle d'une aventure méthodique: la recherche patiente et passionnée d'une rencontre, là où l'importance de ce que l'on appelle trop vite la régression paraît l'interdire à jamais.
On trouvera, encadrant ces trois bouleversantes observations illustrées de dessins et de photographies, une analyse critique de la littérature psychiatrique sur l'autisme infantile, l'exposé des vues théoriques de l'auteur sur la constitution du "soi" et une discussion du mythe des enfants sauvages.
J'ai demandé à Pierre Bergounioux s'il consentirait à dire les raisons pour lesquelles il se détourne si volontiers de la psychanalyse, sans qu'il s'en soit jamais vraiment expliqué - ma question plus directe ou provocatrice était : « Qu'est ce qui t'a retenu de faire une analyse ? » - Quelques mois plus tard, voici le résultat.
Hôtel du Brésil est le nom de l'hôtel où Freud est descendu, rue Le Goff, quand il a étudié auprès de Charcot. L'étudiant Bergounioux, à qui le nom de Freud ne dit pas grand-chose, tombe sur la plaque commémorative alors même qu'il vient d'acheter « trente kilos de livres » qui parlent de son propre engagement et de ses objets. Cet engagement, c'est chercher non en lui mais au dehors de lui-même les causes de son mal-être.
L'enfant effaré qu'il a été, accablé de tristesse dans la bibliothèque non chauffée de Brive, vivant à côté d'adultes muets, devenu jeune homme découvre que la constitution du sol (le grès « permo-carbonifère ») a rendu tout triste en Corrèze - maisons et ambitions intellectuelles et rendement des cultures fermières, et humeur : une condition provinciale loin de toute lumière. Ce qui éclairera l'auteur sur ce qui l'agite, c'est l'analyse politique. Pierre explique avec toute sa droiture, toute son obstination aussi - et son écriture fluide et grave -, que l'inconscient est dehors. Ce court essai - au fond antipsychanalytique - est très émouvant. Et quoi de plus souhaitable qu'un excellent adversaire pour secouer les pensées devenues trop familières ?
« Si rien n'est plus manifeste que l'inconscient, depuis que Freud a passé, il résidait bien moins en nous, pour moi, pour d'autres, qu'à notre porte, dans les choses qui nous assiégeaient, leur dureté, leur mutisme, la tyrannie qu'elles exerçaient sur nos sentiments, les pensées qu'elles nous inspiraient forcément et semblaient s'ingénier à dénaturer. Le monde n'était pas ce résidu friable, terne que pouvaient ignorer « les belles dames » [les patientes de Freud] mais une excroissance énorme, ténébreuse - et je n'avais déjà même plus quarante ans pour m'en débarrasser. »
Voici sans doute le plus étrange et le plus freudien des écrits de Freud. Composé par strates successives en trois essais, il garde tout au long des traces de sa fabrication insolite. Étrange aussi par son audacieuse hypothèse de départ - «Si Moïse était un Égyptien ?» -, il est bien loin de s'y réduire. À travers l'histoire de l'homme Moïse, c'est en effet la formation d'une religion, celle de l'identité juive (et de l'antisémitisme), enfin le passage de la sensorialité à la vie de l'esprit qui font ici l'objet de l'enquête, avec, en arrière-plan, la question du père mort qui, tout comme la figure de Moïse, n'a cessé de hanter Freud.«Roman historique» au dire de son auteur, Bildungsroman ou roman secret - l'homme Moïse, c'est aussi l'homme Freud -, ce livre appelle autre chose qu'une interprétation : une lecture.
Ce livre explore les principales modalités de ce que Freud, dans une de ses toutes premières définitions de la psychanalyse, a appelé le 'royaume intermédiaire'. Autant de variantes de l'entre-deux : entre le masculin et le féminin, entr le savoir et le fantasme, entre l'enfant et l'adulte, entre le mort et le vif, entre le hors de soi et la présence de soi.
La vie psychique est ici décrite comme oscillant entre deux pôles : l'expérience du rêve, cet événement de la nuit d'où peut naître la parole, et la connaissance de sa douleur qui fait silence ou cri.
Quinze études où s'écrit le trajet d'une pensée qui se tient moins dans l'abri d'une théorie constituée qu'aux confins de l'analysable.
Un psychanalyste qui, depuis plus de trente ans, jour après jour, séance après séance, s'expose à la pensée délirante, à la violence et à l'incohérence schizophrénique, ne saurait être un psychanalyste comme les autres. Les sages préceptes de «neutralité bienveillante» et d'«attention flottante» ne lui sont d'aucun secours. Ni le modèle canonique du transfert quand il est sans cesse pris à partie dans son être visible et caché. L'analyste ne peut alors que travailler sur - et à partir de - ce que son patient induit en lui d'émotions, de haine, de jalousie, de culpabilité et d'espoir, et même de folie. Le contre-transfert, d'obstacle et d'accident qu'il est dans les analyses classiques, devient l'instrument par excellence du traitement. Mais sa définition, généralement un peu lâche, doit par là même être profondément renouvelée. Tel est l'objet de ce livre.
Ce recueil d'une quarantaine de textes inédits ou dispersés dans des revues montre un Winnicott explorateur et conteur passionné. Nombreux sont en effet les inédits qui sont le résultat d'intuitions et de perceptions déroutantes pour l'auteur lui-même, qui a ainsi éprouvé le besoin de les saisir par l'écrit, en quelques pages vives et ouvertes. Certaines de ces pages sont des notes préparatoires pour un enseignement ou une conférence, et sont enjouées, prêtes à être partagées. Elles ont aussi l'intérêt de révéler un Winnicott moins connu, un analyste d'adultes non conventionnel, capable d'aller dans un restaurant retrouver une patiente, ou d'expliquer comment ses propres rêves lui constituent un «club» où il se rend pour avoir la paix. C'est le parcours d'une vie de recherche qui est présenté (travaux de 1939 à 1970), mais un parcours parallèle et généralement ignoré. On y découvre les marges de la pensée winnicottienne et, comme c'est une pensée essentiellement paradoxale, les marges sont au centre.
Introduire, pour Freud, ce n'est pas répéter du déjà connu, c'est presque toujours apporter du nouveau, ébranler le savoir constitué, même par lui. C'est ainsi qu'on trouvera dans les Nouvelles conférences, entre autres, une révision de la théorie du rêve, des aperçus troublants sur l'occultisme et une modification de ses vues, aujourd'hui hâtivement contestées, sur la féminité. Enfin, dans la dernière conférence, Freud dit avec une rare vigueur son refus de transformer la psychanalyse en Weltanschauung. On y rencontre cette profession de foi (nous sommes en 1933...) - étonnante de la part de celui à qui on reproche souvent d'avoir trop cédé aux séductions de l'irrationnel : «C'est notre meilleur espoir pour l'avenir que l'intellect - l'esprit scientifique, la raison - parvienne avec le temps à la dictature dans la vie psychique de l'homme.»
Voici ce qu'écrit Freud de sa Selbstdarstellung publiée en 1925:«Deux thèmes parcourent cet ouvrage:celui de ma propre destinée et celui de l'histoire de la psychanalyse. Ils sont étroitement liés. Ma Présentation de moi-même montre comment la psychanalyse devint le contenu de ma vie et elle se conforme à ce principe justifié que rien de ce qui m'arrive personnellement ne mérite d'intéresser, au regard de mes relations avec la science.»Ces lignes, extraites de la postface, inédite en français à ce jour et qu'on trouvera dans notre édition, définissent bien le propos de ce petit livre, qui n'est ni une autobiographie, ni un autoportrait, ni un exposé doctrinal, et qui pourtant participe de tous ces genres. Rarement un homme des «commencements» a voulu à ce point se confondre avec sa cause, également soucieux d'en assurer l'expansion et d'en maintenir avec intransigeance l'irréductible spécificité.
Au cours du printemps 1926, Theodor Reik, membre de la Société psychanalytique de Vienne, est l'objet d'une plainte pénale pour exercice illégal de la médecine. Freud entreprend aussitôt de rédiger ce petit livre auquel il va donner la forme d'un dialogue avec un «interlocuteur impartial». Ce recours au dialogue lui permet d'exposer et de discuter sans rien laisser dans l'ombre les arguments de ceux, nombreux jusque dans la communauté analytique, qui entendent réserver l'exercice de la psychanalyse aux seuls médecins. Défendre, à travers Reik, la Laienanalyse, l'analyse «profane», c'est affirmer, comme le souligne J.-B. Pontalis dans sa préface, l'irréductibilité de la psychanalyse à tout savoir constitué et «sacralisé». Le psychanalyste ne saurait tirer sa qualification et sa légitimité que de la psychanalyse elle-même. Que doit être alors sa formation ? Le débat, ouvert par Freud, n'est pas clos. Die Frage der Laienanalyse publié ici avec la postface de 1927 demeurée inédite en français et suivi d'un dossier établi par Michel Schneider, a d'abord paru sous le titre, quelque peu trompeur, de Psychanalyse et médecine.
Voici le premier livre de l'auteur de L'effort pour rendre l'autre fou. Harold Searles était alors un jeune psychiatre psychanalyste traitant des malades mentaux à Chesnut Lodge et déjà, comme il le fut toujours, totalement engagé dans son travail thérapeutique. C'est pendant cette période que prit corps l'interrogation qui anime tout le livre : comment s'acquiert et comment se perd le sentiment d'identité personnelle, et d'abord celui d'être un être humain ? Pour nous assurer de notre humanité, nous n'avons que trop tendance à définir tout ce qui n'est pas nous en termes purement négatifs : nous en faisons du «non humain». Nous y englobons la nature, les animaux et parfois même nos semblables. Or, singulièrement chez les psychotiques, dont le sentiment d'identité est fragile, toujours menacé, cette bipartition ne tient plus. À l'angoisse panique de devenir non humain - une machine par exemple - répond leur désir de le devenir, de s'identifier à un paysage, à un arbre, à un chien...Nul mieux que Searles ne sait rendre sensibles la proximité et l'étrangeté de la folie, ce que le délire porte à la fois de souffrance et de vérité.
A ceux, aujourd'hui nombreux, qui ne voient dans la psychanalyse que la forme moderne de l'effort pour " normaliser " toute expression déviante.
Ce livre apporte une double réponse. d'une part, il existe une " suradaptation " à la réalité dont seule l'expérience analytique révèle la misère psychique sous-jacente. d'autre part, les " déviations " les plus aberrantes témoignent. quand on parvient à en reconstruire le scénario inconscient, d'une créativité remarquable. s'il est rare d'entendre des psychanalystes plaider pour une certaine anormalité.
C'est qu'il est rare aussi d'en rencontrer qui consentent à mettre en question, au-delà même de leur savoir et de leur méthode, leur identité d'analyste. or c'est aux " cas " qui ébranlent celle-ci que s'intéresse plus particulièrement joyce mcdougall : les patients qui, pour être différents du " bon névrosé classique", sont trop rapidement étiquetés comme caractériels, pervers, narcissiques, psychosomatiques.
En fait, pour peu qu'on sache aller au-devant de leur souffrance, ils portent l'analyste aux limites de l'analysable, du représentable, du narrable. c'est sur ce terrain, oú il faut sans cesse inventer pour comprendre, que nous conduit l'auteur, avec une exceptionnelle liberté de pensée et de style.
Au retour d'un voyage à Vienne début 2018 - c'est-à-dire au lendemain du retour de l'extrême droite au pouvoir en Autriche -, Yann Diener écrit un texte intitulé «Vienne, toujours freudienne?» pour la chronique qu'il tient dans Charlie Hebdo. Ce texte l'incite à réunir les chroniques dans lesquelles il traitait déjà du concept de répétition. Comme ces chroniques, les chapitres qui les prolongent ici obéissent à l'exigence d'articuler des concepts de la psychanalyse à des questions politiques, pour pouvoir repérer les plis d'une Histoire chiffonnée. Chiffonnée, comme disait le «petit Hans» à propos de sa girafe ; chiffonnée, comme l'histoire même de ce livre (Yann Diener a en effet pris la suite de la chronique que tenait Elsa Cayat jusqu'à sa mort dans l'attentat du 7 janvier 2015). Mais la connotation négative du mot - qu'est-ce qui te chiffonne? - cède ici la place à une conceptualisation progressive, d'un pli à l'autre.
Le chiffonné, qui n'a pas encore beaucoup attiré l'attention des analystes, est un objet théorique qui vient du champ de la physique autant que du rêve d'un jeune garçon de cinq ans vivant à Vienne au début du XXe siècle.
Ce livre explore des questions touchant essentiellement à la psychanalyse, et au-delà, à la création artistique. Plus largement il concerne toute émergence de nouveauté vraie : non un réarrangement d'éléments connus, mais une « mise au monde » de ce qui jusqu'à ce moment n'existait pas, et dont la survenue modifie la structure d'ensemble et pas seulement l'aspect.
Ainsi les impressionnistes ont-ils rénové l'art pictural : d'abord incompris, ce qu'ils ont imposé a modifié le regard, fait voir ce qui n'avait pas été vu jusque là, changé la perception du monde.
La question est donc la suivante : que perdons-nous quand, pour parler, penser, agir, que nous nommons les objets, ce qui est nécessaire pour leur assurer une « figure » précise et délimitée ?
La réponse proposée : nous perdons l'intégralité de la substance dont nous avons tiré ces objets en la fractionnant en unités distinctes, et nous perdons de même notre propre participation de cette substance. Nous ne le savons qu'indirectement, en éprouvant une certaine et constante insatisfaction, un sorte de déficit de réalité dont de nombreux penseurs ont témoigné.
Un exemple géopolitique : les divisions successives de la région des Balkans ont fait disparaître ce que des historiens ont pu désigner comme une culture balkanique originaire. Ce que les frontières recèlent serait donc, non du territoire disparu, mais d'une autre nature : l'âme d'un peuple.
Entre 1948 et 1969, D.
W. Winnicott a rédigée de multiples critiques de livres, des hommages, des notices nécrologiques, en particulier d'élèves de Freud ou de son traducteur anglais. De cette somme de notes, reclassées selon un rythme nouveau, non chronologique mais thématique, se dégage un portrait en creux extrêmement vivant de Winnicott lui-même, qui se révèle au détour de chaque page. On y découvre aussi à quel point, en Grande-Bretagne, la Seconde guerre mondiale aura marqué la psychanalyse, qu'il s'agisse de l'étude de l'impact psychologique de l'évacuation forcée des enfants des villes vers les campagnes ou de l'accueil dans ce pays de nombreux analystes, autrichiens en particulier, fuyant le nazisme.
Pour faciliter la lecture de l'ouvrage, un appareil critique historique et des notices rédigées par Michel Gribinski viennent éclairer le lecteur sur les auteurs et les personnages évoqués par Winnicott, souvent peu connus en France. Ce recueil alerte, qui allie humour, franc-parler et profondeur de la réflexion, et d'une grande facilité de lecture, touche un lectorat bien au-delà des cercles de l'analyse.
Et certaines positions de Winnicott, comme son rejet, sans appel mais brillamment motivé, des théories comportementalistes, restent d'une remarquable actualité.
Les nombreuses contributions de la psychanalyse à l'esthétique se sont surtout attachées à l'interprétation du contenu fantasmatique des oeuvres ou à la psychopathologie des auteurs.
Si féconds qu'aient été en leur temps ces travaux, ils laissaient sans réponse les questions que pose toute oeuvre d'art: l'effet de captation qu'elle produit, les affects et les identifications qu'elle suscite, le dévoilement du réel qu'elle opère.
Pour saisir de tels effets, on doit interroger moins le produit fini que l'expérience et le processus d'oú résulte ce produit. tout comme le rêve suppose un "travail", non visible, tout comme l'épreuve de la perte engage un douloureux "travail de deuil", l'oeuvre d'art et de pensée est tout entière traversée par un travail créateur.
Bien plus, son originalité et son pouvoir sur nous tiennent à ce qu'elle figure ce travail dans sa forme et dans son style. le corps de l'oeuvre - et non le seul texte - est l'oeuvre elle-même.
Trois parties dans cet ouvrage. d'abord, une clinique et une théorie du travail créateur, oú le cas de freud est pris pour paradigme. ensuite une analyse, menée à partir du cimetière marin, "poème de la création du poème", qui permet à l'auteur d'y différencier cinq phases: l'état de saisissement, l'appréhension d'un représentant psychique inconscient, sa transformation en code organisateur, la donation d'un corps à ce code, l'affrontement imaginaire puis réel à un publie.
Enfin, venant préciser et affiner le modèle théorique, quelques monographies: sur une nouvelle d'henry james et le dédoublement, sur les contes et codes de borges, sur la détresse et les toiles de francis bacon, sur les romans de robbe-grillet et les techniques de la pensée obsessionnelle. autant de lectures psychanalytiques qui nous font effectuer un aller et retour entre l'opacité de la création et la complexité de l'intelligible.
Une "poétique" psychanalytique serait donc possible ?.
Si Freud n'a pas construit à proprement parler une théorie de la mémoire, c'est sans doute parce que toute son oeuvre, des Études sur l'hystérie à L'homme Moïse, en passant par L'interprétation du rêve et Au-delà du principe de plaisir, ne traite que de la mémoire et de ses défaillances - oublis des noms propres, impressions de « déjà-vu », répétition prenant la place de la remémoration, amnésie infantile..
Comment rendre compte de la complexité de la mémoire humaine, de ses lacunes et de ses troubles, sinon en affirmant l'existence de différents « systèmes mnésiques », autrement dit de plusieurs mémoires ? Comment l'éphémère et l'indestructible peuvent-ils aller de pair ?
Ce volume contient les textes suivants :
- Sur le mécanisme psychique de la propension à l'oubli.
- Un trouble de mémoire surt l'Acropole.
- Sur la fausse reconnaissance (« déjà raconté ») pendant le travail psychanalytique.
- Sur les souvenirs-écrans.
- Éphémère destinée.
- Note sur le « bloc-notes magique ».
- Remémoration, répétition et perlaboration.
- Constructions en analyse.
Ce volume des « Traductions nouvelles » comprend, outre L'avenir d'une illusion, quatre textes parfois non dénués de saveur qui précisent et nuancent la thèse de Freud telle qu'elle s'affirme vigoureusement dans l'Avenir : d'une part, la religion est une névrose universelle et la névrose obsessionnelle une religion privée ; d'autre part, le besoin de religion vient de l'« Hilflosigkeit », de l'état de détresse que connaissent l'enfant et l'adulte quand ils cherchent en vain du secours.
L'éclairante préface de Vincent Delecroix montre que Freud, qui voyait en Heine un « compagnon d'incroyance », nous engage, au-delà de sa critique de l'illusion religieuse - illusion à distinguer de l'erreur -, à faire notre deuil de la consolation.
Au pasteur Pfister dont il fait dans l'Avenir son interlocuteur, Freud a écrit : « Dans La question de l'analyse profane, je veux protéger l'analyse contre la médecine, dans l'Illusion, contre les prêtres. » Ne faisons pas de la psychanalyse une nouvelle religion !
Elle s'appelle Garance. Sans doute ses parents, les auteurs de ce livre, avaient-ils gardé le souvenir du film Les enfants du paradis. Leur Garance à eux a des yeux clairs, presque couleur de myosotis, trop clairs peut-être, et une fixité du regard qui surprend.C'est une enfant passive, trop passive peut-être. Mais pas de quoi s'alarmer:rien qu'un léger retard de développement. Puis viennent les examens, les consultations d'éminents spécialistes. Les diagnostics restent imprécis. Prédominent la gêne et le silence. Garance n'est pas comme les autres, elle est hors normes, elle est et restera différente. «Troubles envahissants du développement», telle est la conclusion. Ces troubles, ses parents ne se contentent pas de les observer, ils les vivent jour après jour. Quand ils notent dans un carnet les gestes, les mots, les réactions, les crises violentes de Garance, ce ne saurait être avec la prise de distance du clinicien. Ils s'étonnent, s'amusent parfois de ses trouvailles, de ses élans, ils s'inquiètent:alternance du désarroi et de l'espoir. De cette vie partagée, durant une dizaine d'années, avec Garance est né ce témoignage exceptionnel qui, dans la succession de ses courts chapitres, nous apprend plus sur le «handicap» que la plupart des ouvrages savants. Et, surtout, il nous fait aimer, à nous lecteurs, cette étrange petite fille qui demande répétitivement à «Écouter Haendel!»
Les plaisirs non défendusest un essai à égale distance de la morale pragmatique et de la psychanalyse, qui enrichit la psychanalyse d'une pensée différente : la sensibilité pragmatique de l'auteur, qui l'a rendu célèbre dans les pays anglo-saxons, prend en considération des valeurs morales fondamentales, à l'inverse de ce que préconise la fameuse attitude « neutre » que le psychanalyste est censé avoir.
La grande littérature (Milton pour les interdits, Shakespeare pour la conscience morale, Beckett pour le pessimisme) fournit ses appuis à Adam Phillips, ainsi que la critique littéraire - toujours teintée d'ironie et d'un peu de méchanceté - en faveur chez les anglo-saxons.
À quoi pensent les autistes, et comment pensent-ils ? C'est à leur mode de pensée et à ses contenus que tient l'étrangeté de la rencontre avec les autistes. Laurent, dont il est d'emblée et longuement question, ne comprend pas pourquoi on pleure aux enterrements. Pour essayer de comprendre, il imite - il ne s'identifie pas. Sa pensée ne peut pas compter sur l'identification à l'autre pour s'organiser : à la place de cette connaissance fondée sur l'affect, elle doit s'accrocher adhésivement aux perceptions. Mais les perceptions sont infinies, sans contact les unes avec les autres, toujours à recommencer. Lui-même ne parvient pas en retour à faire partager ce qui l'implique tant dans les trajets et les correspondances des autobus.
Martin Joubert prend le chemin long, nécessaire pour communiquer avec les autistes et faire entendre au lecteur ce dont il s'agit, le faire entrer dans la séance et dans un environnement où rien ne paraît apte à border l'espace psychique.
Dans cet environnement sans bords, Laurent décrypte toujours plus de signes auxquels il lui faut, un par un, accorder une signification. S'il comprend beaucoup de choses, c'est avec la tête. Il utilise un langage élaboré et se sert de son intelligence et de sa bonne mémoire pour comprendre le monde en posant des questions ciblées : Ça veut dire quoi : manger un peu de tout ? Pourquoi les grands-parents c'est les parents des parents ? C'est quoi un pays d'aide au tiers-monde ? Le « monde-d'après-Laurent » semble un assemblage énigmatique de facettes sans nombre, à expliciter chaque fois. L'assemblage dans un même énoncé de signifiants à multiples résonnances le rend confus. « Il m'interroge comme si j'étais une sorte de Sybille qui posséderait toutes les réponses, à ceci près que la Sybille était ironique : elle se moquait des humains en jouant sur leur propre désir. Laurent, lui, est d'un sérieux absolu et le sérieux de sa question s'impose à moi. Pas question de se défiler dans une pirouette : il le sentirait tout de suite et se retirerait dans son monde. On se croirait égaré avec lui dans une bibliothèque de Babel à la Borges avec, dans chaque case, non un livre, mais la réponse à l'une de ses questions. »
En attendant la femme aimée, au restaurant, un homme fait l'éloge de son amour - il s'appelle Pour. Un autre (le même) - c'est Contre - s'emploie à l'interrompre, à lui montrer qu'il est dans l'illusion, que cette femme est son invention. À mesure que l'échange avance, que les arguments se tendent et qu'on ne sait plus parfois si Pour l'est encore, le lecteur qui évoque ses expériences en pareille occurrence amoureuse reconnaît volontiers qu'il est convaincu par l'un et... par l'autre. En invoquant les paradoxes de la vie amoureuse - que de détours dans nos sincérités successives!-, l'auteur fait saisir dans quelle dépendance permanente nous sommes au registre de la pensée. Mais si nos pensées étaient soumises à nos passions? Penser, n'est-ce pas avant tout être pour, être contre? Aimer, n'est-ce pas avant tout penser qu'on aime?