Pour mieux observer sa future épouse, un jeune homme imagine de se présenter à elle sous la livrée de son valet qui lui-même s'habillera en maître ; or la jeune fille, de son côté, a eu la même idée, et se fait passer pour sa femme de chambre, qui elle-même jouera son rôle. Le hasard a ouvert le jeu à l'amour, et le jeu de l'amour est d'aller aussi bien où on ne l'attendait pas.
Depuis sa création en 1730, la pièce s'est imposée comme le chef-d'oeuvre de Marivaux qui séduit par l'harmonieux équilibre entre une forme dramatique inspirée de la comédie italienne et une intrigue de drame bourgeois. Un charmant badinage ? Sans doute. Mais qui ne va pas sans questions : l'amour est-il bien naturel ? ignore-t-il les barrières sociales ? Chacun vaut-il par ce qu'il est ou par ce qu'il paraît ? Le Jeu de l'amour et du hasard nous conduit au-delà du marivaudage : « c'est une bagatelle qui vaut bien la peine qu'on y pense ».
Edition de Patrice Pavis.
Marivaux a construit sa pièce, l'une des plus célèbres, en opposant le monde de la cour au monde rural, la richesse à la pauvreté, le pouvoir à l'impuissance. Le prince tente en effet de séparer Arlequin de Silvia, pour mieux lui témoigner son amour, et jette Flaminia dans les bras d'Arlequin. Le couple initial est défait, le prince épousera Silvia, et Arlequin, anobli, se marie avec Flaminia : c'est la «double inconstance». Habile manipulateur, le souverain, à l'image de l'auteur, a fait mourir un amour partagé, et en a fait naître deux autres, malgré l'unité de temps maintenue par les règles du théâtre classique. Le temps de l'amour éternel est rétrospectivement démasqué comme une illusion, et remplacé par le temps du plaisir éphémère.
Pour mieux juger de la fidélité de Lélio qu'elle doit épouser, mais qui ne la connaît pas, une jeune et riche Parisienne se présente à lui déguisée en faux chevalier. Elle découvre alors qu'il doit se marier avec une comtesse envers qui il a contracté des dettes. Pour éviter à Lélio d'avoir à rompre ce mariage et payer dix mille livres de dédit, le faux chevalier courtise la comtesse, puis la vérité sur son sexe se trouve révélée : le faux chevalier se fait finalement passer pour la suivante de la comtesse.
La comédie que Marivaux fait jouer au Théâtre Italien en 1724 aurait donc dû s'intituler plutôt Le Faux Chevalier. Le titre nous trompe-t-il ou le travestissement de la condition sociale l'emporte-t-il ici sur le travestissement du sexe ? Marivaux en tout cas a un but : dissiper l'illusion qui accompagne les sentiments, faire tomber le masque de l'infâme Lélio, et mettre à nu la vérité. Jeu brillant de la surprise et du badinage, mais aussi jeu cruel où le cornique ne va pas sans noirceur.
Marivaux La Double Inconstance suivi de Arlequin poli par l'amour Arlequin et Silvia, jeunes villageois, sont amoureux l'un de l'autre. Mais le Prince aime Silvia et, pour la conquérir, doit détourner d'elle Arlequin. Il charge donc Flaminia, une grande dame de la cour, de séduire le jeune homme.
En 1723, La Double Inconstance voit ainsi se défaire le couple d'Arlequin et de Silvia qui, trois ans plus tôt, dans Arlequin poli par l'amour, avait su résister aux intrigues d'une puissante Fée qui s'était éprise du jeune homme. La seconde comédie serait-elle donc la suite pessimiste et désabusée de la première ? Sans doute non. Il y avait une sorte de vérité dans l'amour d'Arlequin et de Silvia au début de La Double Inconstance : ils en ont découvert une autre à la fin. Car comme toujours chez Marivaux, au-delà des masques et des feintes, il s'agit pour chacun de mieux comprendre ce qu'il est.
Edition présentée et annotée par Jacques Morel.
Notes complémentaires de Pierre Frantz.
Sot métamorphosé par l'amour, valet opportuniste ou défenseur de sa maîtresse... Dans ces trois courtes pièces, Marivaux déploie de sa plume ciselée et badine quelques nouvelles facettes du personnage le plus truculent de la commedia dell'arte, celui qu'habillent mille losanges : Arlequin.
Comment mettre à nu la vérité d'un coeur ? En passant par le détour du mensonge ! Telle est la méthode prônée par Marivaux dans ces trois courtes pièces qui explorent les vertiges de l'inconstance humaine. Dans ce théâtre de la cruauté, l'amour est mis à rude épreuve. Maîtres et valets, amants et amantes, jeunes et vieux, manipulateurs et manipulés : tous succomberont à la folie des masques et du soupçon.L'Épreuve - Où Lucidor veut voir et savoir, non pas si on l'aime (il n'en doute pas), mais si l'amour d'Angélique résistera à la tentation de l'argent et de l'ambition sociale.La Dispute - Où un prince et une princesse se demandent lequel des deux sexes a donné en premier «l'exemple de l'inconstance et de l'infidélité en amour».Les Acteurs de bonne foi - Où un auteur, sous couvert d'une répétition improvisée de sa pièce, fait jouer à chaque acteur son propre personnage, afin de dévoiler à tous leurs sentiments véritables.
« Le titre que je donne à mes Mémoires annonce ma naissance; je ne l'ai jamais dissimulée à qui me l'a demandée, et il semble qu'en tout temps Dieu ait récompensé ma franchise là-dessus; car je n'ai pas remarqué qu'en aucune occasion on en ait eu moins d'égard et moins d'estime pour moi. [...] Le récit de mes aventures ne sera pas inutile à ceux qui aiment à s'instruire. Voilà en partie ce qui fait que je les donne; je cherche aussi à m'amuser moi-même. »
vers le milieu du xviie siècle, les passagers d'un carrosse qui fait route vers bordeaux sont attaqués et tués par des voleurs, mais une petite fille de deux ou trois ans est épargnée et bientôt recueillie par le curé d'un village voisin et sa soeur qui la prénomment marianne.
une douzaine d'années plus tard, elle accompagne à paris sa mère adoptive qui meurt brutalement. elle est alors recueillie par un homme de considération, m. de climal, qui la loge chez une lingère, mais lui fait rapidement ta cour, une cour à laquelle marianne résiste d'autant plus qu'elle tombe bientôt amoureuse d'un beau jeune homme, valville, qui n'est autre que le neveu de climal. la vie de marianne, que marivaux tait paraître de 1731 à 1741, commence comme un roman d'aventures, mais c'est sa propre vie que raconte la narratrice, une comtesse qui ne connaît ses origines que depuis quinze ans, et s'est décidée à écrire ses mémoires sous la forme de lettres qu'elle rédige pour une amie.
il se peut que la vie de marianne fasse place au romanesque et au hasard : c'est aussi finalement un roman d'analyse, celui d'une femme qui raconte son destin avec une lucidité qui n'abolit pas la part du secret ni le mystère de l'incompréhensible.
Hortense aime Rosimond et en est aimée. Mais c'est un jeune homme léger, prétentieux, snob (un « petit-maître », personnage alors à la mode au théâtre) ; elle veut l'éprouver en feignant d'être attirée par un autre homme. Quant à lui, il est courtisé par une autre femme, Dorimène. Les parents assistent impuissants à ce manège. Si bien que les deux jeunes gens sont prêts de rompre. Le valet et la servante arrangeront tout.
Pour vaincre le mal, faites-vous plus méchant que lui. L'homme est un loup pour la femme. Derrière le sentiment cherchez l'intérêt, derrière les mots le calcul. À moins qu'aux ambitions parentales et aux sombres raisons d'argent l'ingénuité, les tendres rêveries du coeur, l'aspiration à un monde plus doux et plus confiant ne fassent entendre raison...
Telle est la trajectoire parcourue par le théâtre des Lumières et dont Marivaux touche ici les deux extrêmes : la comique noirceur d'une société où, une fois les masques tombés, la morale est mise en de cruels embarras ; le mirage exquis de la vertu, du rire et du sentiment réconciliés.
« Ils font semblant de faire semblant. » Comédie en un acte tardive de Marivaux (1757), Les acteurs de bonne foi a pour thème le théâtre lui-même : alors que se joue en privé un "petit divertissement", viennent peu à peu se perdre les acteurs novices, ne discernant plus tout à fait ce qui relève, ou non, de la pure comédie.
Hommage discret aux canevas de la commedia dell'arte , cette courte pièce s'inscrit de manière exemplaire dans la tradition du « théâtre dans le théâtre », entremêlant fiction et réalité pour interroger, en filigrane, les ressorts mêmes de toute création théâtrale. Recommandé pour les classes de lycée.
Le dossier :
Du tableau au texte Triple autoportrait de Norman Rockwell (1894-1978) Le texte en perspective Mouvement littéraire : Un « Singulier Moderne » au siècle des Lumières Genre et registre : Une comédie métathéâtrale L'écrivain à sa table de travail : Une comédie dans l'air du temps Groupement de textes : La mise en abyme Chronologie : Marivaux et son temps Éléments pour une fiche de lecture
Sait-on que Marivaux, romancier et dramaturge de renom, fut aussi ' journaliste ' avant la lettre ? Il collabora pendant près de quarante ans aux périodiques de son temps, et créa plusieurs journaux dans lesquels il exerça seul sa plume. Le premier tome de cette édition met à l'honneur le plus célèbre d'entre eux, Le Spectateur français, publié sous forme de ' feuilles volantes ' de 1721 à 1724. Un narrateur misanthrope, spectateur désabusé de l'espèce humaine, y croque sur le vif les excès de l'amour-propre chez les grands, les riches, les coquettes, les savants et les auteurs, tout en insérant dans ses commentaires lettres, mémoires, et histoires fictives. Dans les Lettres contenant une aventure et les Caractères des habitants de Paris publiés dans le Mercure entre 1717 et 1720, Marivaux mêle réflexions, anecdotes, saynètes, et use d'une arme plus puissante que la satire pour châtier les moeurs de son temps : l'humour.
Les amours de Lucidor et d'Angélique sont compliquées de stratagèmes, de pièges, d'hésitations. Chacun travaille à rendre l'autre jaloux, pour voir s'il est aimé. C'est une comédie où l'on pleure avant de sourire.On ne sait où l'auteur a pris l'idée de ses combinaisons incompréhensibles, extravagantes et cruelles. De combien de personnes faut-il faire le malheur, pour s'assurer de la fidélité, de la sincérité de celle qu'on aime? Marivaux, ici, est, comme Musset plus tard, un petit marquis de Sade:la psychologie blesse plus que le fouet. Et, dans cette pièce, la brièveté renforce la méchanceté.
Sait-on que Marivaux, romancier et dramaturge de renom, fut aussi ' journaliste ' avant la lettre ? Il collabora pendant près de quarante ans aux périodiques de son temps, et créa plusieurs journaux dans lesquels il exerça seul sa plume. Le second tome de cette édition fait la part belle aux plus philosophiques d'entre eux : les sept feuilles de L'Indigent philosophe (1727), ' espèces de Mémoires ' rédigés par une sorte de clochard adepte de Diogène et de la bouteille, et les onze feuilles du Cabinet du philosophe (1734), ' fatras ' de réflexions philosophiques entremêlées de scènes de comédie, de morceaux allégoriques et d'histoires fictives. Ces deux périodiques sont complétés ici par des textes théoriques et esthétiques parus dans le Mercure, comme les Pensées sur la clarté et le sublime (1719) ou Le Miroir (1755).
Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (1688-1763) ne fut pas seulement le dramaturge des Fausses Confidences, du Jeu de l'amour et du hasard ou du Prince travesti, ni le romancier de la Vie de Marianne ou du Paysan parvenu.
Au début de sa carrière, il fournit de nombreuses contributions au Mercure (1717-1720) avant de lancer, au printemps 1721, Le Spectateur français. Il s'agissait d'adapter en France le Spectator anglais d'Addison et Steele. Mais Marivaux fut loin de respecter son engagement initial d'en publier régulièrement les « feuilles » : celles-ci ne paraissent que par intermittence (avec des interruptions de plusieurs mois parfois), ce qui contribue à en accentuer le ton volontairement libre et décousu. Les parutions cessent au 25ème numéro, en octobre 1724.
Dans ces chroniques alertes et enjouées sur la vie parisienne, où l'observation morale alterne avec la narration de différentes « aventures » interrompues et reprises à loisir, selon une formule qui préfigure le feuilleton du siècle suivant, l'auteur nous livre une galerie de « caractères » inspirés de la réalité ou purement fictifs : une coquette, un savetier philosophe, un lecteur grincheux, un mari persécuté par sa femme avare, une jeune fille contrainte par sa mère aux exercices de la dévotion, un père abandonné à la misère par un fils ingrat, etc.
Avec la même légèreté de ton que dans ses comédies, il cherche à amuser plus qu'à instruire, jouant sur tous les registres du coeur humain.
[La présente édition comporte les feuilles 1, 3 à 6, 12 et 14].
Monsieur Orgon décide de marier sa fille Silvia au jeune Dorante. Les deux promis ne se connaissent pas encore et, inquiets de découvrir leur véritable personnalité avant de s'engager, ils ont la même idée sans le savoir : se présenter à l'abri sous un masque, et scruter le coeur de l'autre. Silvia se fait passer pour sa femme de chambre, Lisette, tandis que Dorante endosse le costume d'Arlequin, son valet. Monsieur Orgon et son fils, Mario, qui seuls connaissent le stratagème des quatre jeunes gens, se taisent, et décident de laisser ses chances au jeu de l'amour et du hasard. S'ensuivent quiproquos et rebondissements sur un rythme endiablé jusqu'au triomphe de l'amour.
" Il est question de deux personnes qui s'aiment d'abord et qui le savent, mais qui se sont engagées à n'en rien témoigner et qui passent leur temps à lutter contre la difficulté de garder leur parole en la violant ".
« Dans La Surprise de l'amour il s'agit de deux personnes qui s'aiment pendant toute la pièce, mais qui n'en savent rien eux-mêmes (sic) et qui n'ouvrent les yeux qu'à la dernière scène. » Marivaux a résumé lui-même l'intrigue de sa première vraie comédie, pièce où il manifeste déjà la maîtrise qui fait de lui l'un des plus grands dramaturges du XVIIIe siècle.
Le personnage marivaudien est surpris ; l'acteur qui l'interprète, comme son modèle italien, est sommé de manifester sur la scène pour le public qui écoute, mais aussi regarde, les sentiments qui les traversent : « ... alors les émotions de coeur que vous dites viennent me tourmenter, je cours, je saute, je chante, je danse ». C'est qu'ici, la commodité d'un obstacle extérieur, comme chez Molière, a été écartée : « Chez mes confrères, confiera Marivaux, l'Amour est en querelle avec ce qui l'environne (...), chez moi, il n'est en querelle qu'avec lui seul, et finit par être heureux malgré lui. »
Marivaux le dramaturge est largement lu et reconnu ; il est en revanche moins célèbre pour ses articles alors qu'il a pourtant collaboré pendant plus de quarante ans aux périodiques de son temps. Le texte ici présenté fait partie de ce large " corpus journalistique " aujourd'hui presque totalement oublié. L'Indigent philosophe, écrit de mars à juillet 1727 sous forme de sept feuilles, " espèces de mémoires " est " un essai de ce qu'on pouvait faire en écrivant au hasard tout ce qui viendrait à l'imagination ". Marivaux reprend ainsi trois ans après la fin du Spectateur français, qu'il avait lui-même lancé, la forme du périodique avec un " personnage philosophe ", sorte de sage atypique sectateur impertinent de Diogène et de Bacchus.
Le XVIIIe siècle donne une extension plus large qu'aujourd'hui au mot " philosophe ". A cette époque, le philosophe est un savant, un interprète de la nature, mais également un sage selon l'acception stoïcienne, un homme qui a appris à dominer ses passions. Mais attention, le philosophe de Marivaux n'est pas encore celui des Lumières, il rechigne à en faire un homme impliqué dans la vie de la Cité, participant activement au progrès de l'esprit humain, à la dénonciation des injustices et à la prospérité de son pays ; il élabore au contraire un personnage moraliste, spécialiste des passions de l'âme.
Le texte est structuré par deux récits autobiographiques, celui de notre indigent philosophe, doublé de celui d'un compagnon d'ivresse, acteur amateur rencontré au hasard de la vie. Ces héros narrateurs, " naturellement babillard(s) ", assument leur condition d'homme ruiné, sans désespoir ni cynisme.
L'indigent Philosophe est issu d'une bonne famille et n'a que vingt ans lorsqu'il hérite d'une fabuleuse richesse familiale qu'il s'empresse de dilapider en quelques années. Il est un marginal qui ne vit que dans l'instant présent et ne souhaite aucunement quitter son état de clochard pour réintégrer la bonne société sur laquelle il n'a guère d'illusion. Il survit grâce à bienfaisance et sa reconnaissance n'est entachée d'aucune honte : il est totalement indifférent à l'opinion et n'éprouve aucune culpabilité de sa ruine et n'y attache aucune valeur d'instruction : " tout ce qu'il a fait, il le ferait encore ". Il devient philosophe par nécessité car " quand on ne jouit de rien, on raisonne de tout ".
L'indigent philosophe est une des créations littéraires de Marivaux les plus riches d'avenir car il annonce avec trente ans d'avance cet autre " homme sans souci " que sera le Neveu de Rameau de Diderot.
( 5 hommes, 6 femmes).
Un groupe d'hommes et de femmes a été contraint de se réfugier dans une île.
Ce jour-là, on doit élire les deux nouveaux gouverneurs de l'île : l'un représentera la noblesse, l'autre le tiers-état.
Les femmes n'acceptent plus de vivre sous la dépendance des hommes ; elles refusent que ces derniers ne les admettent pas au gouvernement et décident, à leur tour, de dresser des lois. Elles veulent également abolir le mariage considéré comme une pure servitude...
La Colonie, malgré une conclusion politiquement et sexuellement conforme aux idées en place depuis des millénaires, amorce les grands mouvements féministes qui agiteront notre société deux cents ans plus tard.
Avec cette comédie vive et riche en rebondissements, aux propos étonnamment modernes, Marivaux serait-il l'un des précurseurs de la libéralisation de la femme ?
En véritable « Moderne », Marivaux exerce dans ses journaux son sens de l'observation critique et manie avec brio l'allégorie, le dialogue ou la lettre pour les mettre au service de réflexions morales, sociales et littéraires. La présente édition permet de découvrir l'originalité de Marivaux journaliste.