... Elle ouvre la porte. Éteint la lumière derrière elle. Elle reste sans bouger, dans l'encadrement, présentée, offerte... les cheveux noirs coulants, déployés autour de sa tête, sur les épaules découvertes dans la robe à grands ramages qui glisse le long de son corps, pelure de tissu soyeux presque de la couleur de sa peau bronze. Elle est belle... Elle attend. C'est un tel abandon, une telle offrande de sa présence que cela me trouble, me semble étrange, insensé, fascinant et pur comme la première approche du couple au seuil des noces. Je la porte, je l'encercle dans mon regard... À la vue de cette femme, quelque chose de moi se déchire...
Ce livre n'est pas un roman. Ici, nulle place pour l'imagination. La zone d'une grande ville, des baraques, le terrain vague, les cris, les coups, la crasse, l'alcool, la sexualité, la brutalité et l'ignorance, la perversité, les jeux cruels des enfants désoeuvrés, tout est vrai. Vrai, aussi, le personnage du maître d'école, cherchant à leur donner le goût et l'ambition de la dignité humaine. «Je n'ignore point, dit l'auteur, que ces pages n'ont de valeur qu'en vertu de l'émotion qui, si toutefois j'y réussis, doit sourdre de cette succession de scènes, de faits, tous réels que j'ai dépeints.» Salué comme une révélation en 1952, Requiem des innocents est le premier livre de Louis Calaferte. Il garde aujourd'hui toute sa virulence et demeure un des grands cris de révolte contre la misère et l'injustice du monde moderne.
«Ils parlent. Ils tapent sur la table. Ils reniflent. Ils se grattent dans les poils. Ils se grattent la tête. Ils se renversent sur leurs chaises. Ils mettent leurs pouces dans leurs bretelles. Ils font semblant, mais ils ne sont pas bien. Ils griffent de l'ongle le bois de la table. Ils parlent. Ils se comprennent. Et pourtant, c'est quoi 14, c'est quoi l'Armistice, c'est quoi Daladier, c'est quoi les Boches, c'est quoi Hitler, c'est quoi la politique, c'est quoi le Taureau du Vaucluse, c'est quoi Chamberlain, c'est quoi le pape, c'est quoi la guerre?- C'est quoi, la guerre?- Occupe-toi de ta soupe. Mange.»Pendant l'Occupation, Louis Calaferte a onze ans. Il raconte la guerre telle que la vit un enfant, au jour le jour. Lorsque l'on sort à peine de l'enfance, comment comprendre ce que sont l'exode, la Gestapo, les trahisons, la déportation, les arrestations, le marché noir? Peut-être faut-il simplement écrire les choses comme elles viennent sans laisser passer aucun détail.Sans temps mort, dans une langue incisive, Calaferte a écrit un récit de guerre dont on ne ressort pas indemne.
«Sa tête aux cheveux embroussaillés bat violemment contre ma poitrine.
- Avec toi, je bande.
Les dents qui prennent la peau et mordent.
- Je n'oublie pas un homme qui m'a fait bander».
En 1963, Louis Calaferte publie Septentrion. Aussitôt interdit, ce livre est réédité en 1984. Pour celui qui l'aborde, sa fulgurance est intacte. La mécanique des femmes est comme la quintessence de Septentrion.
Hors de toute élaboration intellectuelle, c'est là une tentative de «poétisation» totale.À cette fin, tous les moyens spontanés du jaillissement intérieur sont unis et réunis:musique, rythme, sonorités, violence, obscénité. Ce qui est du Verbe. Ce qui est Le Verbe.Il ne peut s'y trouver nulle logique conventionnelle, ni points de repère commodes. Le jaillissement provoque le flot et le flot est à subir.Point, non plus, de directions, de perspectives; point d'autre origine que la provocation solitaire, et parfois inaudible, du poète.SATORI est, si l'on veut, pour la commodité du langage:un CRI.
« Les plus hautes récompenses m'étaient périodiquement décernées, mais, je ne sais comment, on s'arrangeait pour que les bénéfices de cette notoriété retombassent avec éclat sur d'autres dont la médiocrité n'avait pu les obtenir.
On faisait même en sorte de ne pas m'allouer les sommes accompagnant ces distinctions et, pour justifiées qu'elles fussent, mes réclamations restaient sans écho, car rapidement l'habitude fut prise de ne faire réponse à aucune de mes lettres ». Soixante-seize texte donnent ainsi du monde une vision de colonie pénitentiaire. Le petit homme y est soumis aux tracasseries d'un quotidien qu'il est tout prêt à accepter, voire même à comprendre.
Sommes-nous juste avant le cataclysme ou juste après ? Ou bien sommes-nous tout simplement dans l'univers banal de toute condition humaine, c'est-à-dire, pour Calaferte, l'aménagement de l'insupportable ?
«Des millions d'hommes meurent de faim, l'injustice, l'obscurantisme sont partout ; on arrête, on emprisonne, on déporte, on torture, on répand le sang, on diffuse le mensonge corrupteur, on entretient l'analphabétisme, on étouffe les idées généreuses, on anéantit les consciences - pendant ce temps-là, nos célébrités littéraires font de la littérature confortable, c'est-à-dire du pur fumier, se prostituant au public de toutes les façons, notamment par l'intermédiaire de cette entreprise de décérébration qu'est notre actuelle télévision. Entre gens de bonne compagnie, on brode sur des idées usées - mais ce qui compte aujourd'hui, c'est la faim dans le monde, la non-culturisation des masses, la pollution de la nature par l'abus chimique, la démographie anarchique, les menaces de l'arsenal nucléaire. Le reste, madame, on s'en fout !»
L'auteur de Septentrion nous offre cette «biographie spirituelle», dans laquelle il essaie de cerner les fluctuations de la sensibilité secrète d'un homme. Qui est cet homme ? Il aurait pu annoncer son retour, entretenir des rapports de bon voisinage, renouer avec une ancienne maîtresse. Mais il préfère la solitude. Il s'est dépris du monde.Sa filleule vient passer ses vacances auprès de lui. En acceptant de la recevoir, il pensait à une enfant. Or c'est presque une femme qui vient vivre sous son toit. Une incarnation de la pureté absolue ou le symbole de la malignité satanique ?
Paraphe Louis Calaferte Il faut lire Louis Calaferte. Romancier, poète, homme, essayiste. Violent dans ses colères et ses attendrissements. Indigné par tout avec excès. Amoureux des femmes à la folie, avec nuance, avec tendresse. Cherchant la mesure dans la démesure. Tenant l'art pour un équilibre majeur. Haïssant tout ce qui relève du bourgeois. Esprit libre. Singulier. N'appartenant à aucune école.
Il faut lire Paraphe. Ce texte est un miroir : tout Calaferte y est, pris comme la lumière dans un éclat de diamant, et nous aussi, dans nos faiblesses, nos rêves et nos colères.
Publié en 1974 par Denoël, oublié depuis, c'est un texte d'une merveilleuse actualité : être libre, être soi-même est notre force, et cela seul résiste au temps.
Tout ce que je dis n'a aucune importance, comme tout ce que je ne dis pas.
Il y a toute une liste de choses que j'ai oubliées de faire avant de mourir. J'espère qu'on ne m'en voudra pas.
Pour passer le temps.
L'attente du courrier. / Le grand livre à écrire. / Les heures calmes du soir. / Moi dans le destin de quelqu'un qui n'est pas moi, que je ne voudrais pas être. L'être passagèrement est divertissant si on sait s'y prendre. / Moi après ma mort.
La somptueuse propriété que je n'habiterai jamais. / Les grandes idées métaphysiques (qui ne débouchent sur rien).
Ce que je vivrai plus tard, je ne sais quand, probablement jamais. / Quelques rares belles lectures. / Les élans mystiques L'illusion d'être compris. / Croire qu'il y a encore des choses merveilleuses qui peuvent m'arriver. / Quelques rares belles émotions dont celles des quelques rares belles lectures (voir plus haut).
Le dégoût pour l'inimaginable bêtise cruelle de mes contemporains.
Tout ce qui arrive de fâcheux aux imbéciles (incendies par imprudence, accidents de chasse, enfants anormaux, victimes d'escroqueries par appât du gain facile, disparitions de familles entières par imprévoyance, etc.).
Les conversations idiotes entre gens idiots.
Les remises de décorations, les éloges funèbres, les distributions de prix (littéraires), les discours électoraux.
Les enthousiasmes idéologiques des foules.
Et encore quelques petites choses, au gré de l'événement.
Tous mes textes sont des textes de jeunesse.
J'approuve parce que c'est commode, mais je n'en pense pas un mot.
«- Il y a dans l'homme un malheur, ajoute Faust, les yeux perdus au loin. Celui de n'être pas la dignité de lui-même. Celui de se déprécier. Il y a chez lui une naturelle servilité qui le rabaisse. Le vice de mettre sous le boisseau la seule force de son possible bonheur, la Liberté. Nous ne voyons plus d'hommes, as-tu remarqué ? Nous ne voyons que des occupations, des ambitions, des responsabilités. Plus d'hommes, mais des ombres à la recherche d'une illusoire sécurité...- L'Argent ! s'écrie Méphistophélès.- Corromps-les, corromps-les bien, dit Faust, tristement. À la fin, en guise d'hommes et d'âmes, tu n'auras que des déchets desséchés. Tes Enfers doivent être lamentables.»
Personnalité incontournable du paysage intellectuel français, Marcela Iacub partage avec passion sa lecture des inclassables et sulfureux Épisodes de Louis Calaferte.
Un homme navigue à travers les femmes de sa vie. Silhouettes mystérieuses appelées D., G. ou M., inconnues sans visage, mais aussi soeurs, mère et prostituées peuplent cette étrange géographie amoureuse. Dans ce paysage féminin, souvent brutal, on distingue aussi les ciels de printemps, les amis, l'odeur du café, les insomnies.
Un entrelacs d'images, d'anecdotes, de sensations que Calaferte conjugue avec l'érotisme et la mort. Une voix fascinante et dérangeante. Inégalée.
«Quant à sa forme, ce livre est issu d'une réflexion qui m'agite depuis bien des années, et dont les variations, déjà, se dessinent dans quelques autres de mes travaux, concluant à la nécessité d'un remodelage de la consistance narrative.Je ne la tiens, certes, aucunement pour exemplaire, ni ne lui suppose nulle poursuite obligée de ma part; mais la recherche n'est-elle point l'une des plus claires justifications de la tâche de l'écrivain? sa loi tenant qu'il se doit impérativement d'échapper au dessèchement de la répétitivité.»Louis Calaferte, 28 septembre 1993.
Le coffret POST/REPLICA THEATRE de LOUIS CALAFERTE contient 26 pièces (également disponibles à l'unité) ainsi qu'un livret de présentation "Eléments". Une nouvelle collection pour accueillir les 26 pièces de théâtre de LOUIS CALAFERTE. Dans la création de Louis Calaferte, le pan que constitue la part dramatique éclaire d'une manière synthétique la démarche de ce grand écrivain; entendons par synthétique l'idée qu'il a focalisé un regard d'entomologiste sur la société de ses contemporains, observateur cruel mais non sans aménité, des milieux et des comportements de ses semblables.
Un théâtre rebelle, tout de contre-pouvoir et d'anticonformisme, un modèle d'humanité avec une perfection de la langue rarement égalée.
Louis Calaferte a écrit 26 pièces de théâtre entre 1950 et 1993, dont LES MANDIBULES en 1975 / "On est sans repères face à Louis Calaferte parce qu'il a introduit dans le théâtre une forme de comédie totalement nouvelle... une sorte de comédie de comportement du genre humain sans lien avec un pays ou même une époque. Avec "Les Mandibules", il propose de pénétrer dans l'intimité de deux familles : les Walter et les Wilfrid, deux trios obsédés, depuis des générations, par la nourriture, notamment la viande et restent sourds aux avertissements répétés de leur boucher qui, tel un choeur antique, ne cesse de les alerter sur les dangers de la surconsommation et la menace d'une pénurie imminente... "Cérémonial onirique, organisé autour d'une démonstration des possibles développements de l'instinct anthropophagique. L.C. », cette fable visionnaire, hilarante et inquiétante, nous invite à porter un regard des plus neufs sur nos comportements. - Patrick Pelloquet.
Louis Calaferte a écrit 26 pièces de théâtre entre 1950 et 1993, dont L'AQUARIUM en 1985 / Au miroir d'un couple de quarantenaires, "L'aquarium", nous donne à voir l'horrifiant spectacle d'une humanité peu fréquentable aux congénères peu positifs. S'il est de constat, le comique est ici servi par les capacités d'un auteur à son degré maximum de naturalisme avancé.
Ces Choses dites sont en quelque sorte un « Calaferte par lui-même ». Les entretiens que cet irréductible écrivain avait eus sur France Culture, en 1988, avec Pierre Drachline, sont ici donnés à lire. Dialogue sans complaisance, parfois brutal, toujours acéré, dans lequel Calaferte s'exprimait avec rage, ironie et lucidité sur son parcours et une vie dominée par les exigences de la création.
Toutes les facettes de Calaferte apparaissent aussi en filigrane dans le choix de textes rassemblés sous le titre Inventaire grammatical d'une biographie portative. Ici, selon l'expression d'André Breton, « les mots font l'amour ».
Calaferte se voulut d'abord un homme debout.
Je me présente, lucide, dans la figuration qui est à mes yeux mienne - je ne sais que penser ni dire.
Qui ai-je présentement devant moi ? Ces cheveux épars dressés autour de ma tête, comme une auréole blanche, ce visage usé, creusé mais qui exprime sa continuité de force. Ai-je au cours de ces années vécues engrangé suffisamment pour me modifier ? Certes - mais mon ambition dernière est d'être l'innocence de l'enfant ; s'il se peut, celle du nouveau-né, du Souffle de la Création. Je veux être un mort jeune.
Louis Calaferte a écrit 26 pièces de théâtre entre 1950 et 1993, dont LES MIETTES en 1974 / C'est atroce ! Car ce texte catalyse en nous toute la médiocrité humaine. Il agit à la manière d'un révélateur, suscitant un tel trouble quand on se reconnaît dans la mesquinerie incroyable du couple Choupet-Choupette.
Louis Calaferte a écrit 26 pièces de théâtre entre 1950 et 1993, dont CLOTILDE DU NORD en 1950 / Inspiré par un fait divers, il s'agit d'un huis-clos amoureux entre un proxénète et une prostituée, si tant est qu'on puisse utiliser ce vocable pour désigner la nature de leur relation.
Louis Calaferte a écrit 26 pièces de théâtre entre 1950 et 1993, dont CREON en 1965 / "... tiraillé par l'inquiétude, Créon ne cesse d'être dans le tremblement. Presque toutes ses décisions, qu'il prend sous l'empire de la violence à laquelle on le contraint, ont l'air, une fois prises, de l'étonner, de l'épouvanter lui-même. Rien d'autre qu'une insurmontable faiblesse ne motive, ni n'anime ces gens qu'on voit tous les jours se démener dans l'espoir d'accaparer quelque pouvoir." - Louis Calaferte.
Louis Calaferte a écrit 26 pièces de théâtre entre 1950 et 1993, dont TU AS BIEN FAIT DE VENIR, PAUL en 1978 / "... La lecture de "Tu as bien fait de venir, Paul" est un événement. C'est ce que l'on se hasarderait à appeler "un coup de génie". Effrayant et superbe à la fois ; mais quelle tendresse dans le désespoir..." - Jean-Pierre Miquel.