«Il y a dans les afflictions diverses sortes d'hypocrisie. Dans l'une, sous prétexte de pleurer la perte d'une personne qui nous est chère, nous nous pleurons nous-mêmes ; nous regrettons la bonne opinion qu'il avait de nous ; nous pleurons la diminution de notre bien, de notre plaisir, de notre considération. Ainsi les morts ont l'honneur des larmes qui ne coulent que pour les vivants... Il y a une autre espèce de larmes qui n'ont que de petites sources qui coulent et se tarissent facilement : on pleure pour avoir la réputation d'être tendre, on pleure pour être plaint, on pleure pour être pleuré ; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas.»
Un moraliste ? Nullement. C'est un romancier, le premier en date de nos romanciers. Tout lui vient de l'imagination, de la brusque perception qu'il a d'un sentiment humain par la capture d'un regard ou d'un mot. Chacune de ses maximes est une intrigue découverte. Au lieu de développer l'histoire, il la réduit, lui donne une articulation, l'incline selon son humeur.
- Cette humeur est sombre. C'est que, dans le monde, là où il vit, on ne pénètre un peu profondément les êtres que par les défaillances et les ruptures..J acques de Lacretelle.
- Le premier grand livre de la Prose française. Voltaire.
«François, duc de La Rochefoucauld (1613-1680), pair de France et frondeur par un ver rongeur de princerie, fouaille que l'esprit est toujours la dupe du coeur. Sa lucidité glacée s'exerce sur la comédie du monde, scène dérisoire où les vices sous masque des vertus mènent le branle. Inlassablement le moraliste interroge cette matière changeante qu'est l'homme : les Mémoires quêtent du sens pour un moi égaré entre le vain désir de la gloire et l'ombre amère des défaites ; les Maximes jettent de brefs et cruels éclairs sur la condition humaine. Cette oeuvre rêve mélancoliquement d'un homme qui eût osé être vrai et libère une lumière noire, celle d'un janséniste oublieux du salut, ou peut-être celle d'un grand seigneur libertin constatant avec douleur que les passions ne sont que les divers degrés de la chaleur et de la froideur du sang.» Élisabeth Lemirre.
L'auteur des Maximes a laissé des Mémoires qui sont, avec ceux de son vieil adversaire, le cardinal de Retz, les plus remarquables du XVII? siècle. Leur succès est attesté par la trentaine d'éditions qui en paraît de 1662 à la fin du XIX? siècle. L'oeuvre couvre les années 1629-1652, de l'entrée de l'auteur à la cour - il a seize ans - à la fin de la Fronde. Chevalier servant de la Reine, il s'aliène Richelieu, et il ne sera pas moins en butte à Mazarin, qu'il attaque dans un violent et brillant pamphlet, l'Apologie de M. le prince de Marcillac. L'ensemble tient à la fois de l'histoire, de l'autobiographie et, la période s'y prêtant, du roman d'aventures. À la différence de la volubilité de Retz, l'écriture rend compte, avec une grande et belle sobriété, d'un temps où les conflits et les batailles, les intrigues de la passion et de la politique, les situations les plus inattendues et les plus risquées font la matière de l'Histoire.
Texte essentiel de la réflexion sur soi, impitoyable anatomie du coeur humain, d'un pessimisme radical et joyeux, ses maximes ont fait de la rochefoucauld un des grands moralistes français.
Si on compte de nombreuses éditions des maximes, on connaît beaucoup moins les mémoires. la rochefoucauld les écrivit en 1653, lorsque l'échec définitif de la fronde, à laquelle il avait activement participé, et une grave blessure reçue lors d'un combat, le contraignirent à se retirer dans ses terres. elles sont à l'histoire ce que les maximes sont à la psychologie : une terrible école de lucidité.
Of all the French epigrammatic writers, La Rochefoucauld (1613-1680) is at once the most widely known and the most distinguished. Voltaire said: One of the works that most largely contributed to form the taste of the [French] nation, and to diffuse a spirit of justice and precision, is the collection of maxims by François, duc de La Rochefoucauld; though there is scarcely more than one truth running through the book-that 'self-love is the motive of everything'-yet, this thought is presented under so many varied aspects that it is nearly always striking. And Lord Chesterfield, in his letters to his son: Till you come to know mankind by your own experience, I know no thing nor no man that can in the meantime bring you so well acquainted with them as La Rochefoucauld: his little book of Maxims, which I would advise you to look into, for some moments at least, every day of your life, is, I fear, too like and too exact a picture of human nature. I own it seems to degrade it, but yet my experience does not convince me that it degrades it unjustly.
The Maxims were first published in 1665, under the title Reflections or sentences and moral maxims; and the edition of 1678, the fifth, from which the text has been used for the present translation, was the last revised by the author and published in his lifetime (with maxims numbered 1 to 504). Maxims which appeared in previous editions and were suppressed by La Rochefoucauld can be found in the second part, entitled Maxims withdrawn by the author, here numbered 505 to 583.
The French original of this bilingual edition was reviewed by Philippe Renaud. The English translation, originally by John William Willis-Bund and James Hain Friswell, has been thoroughly revised by Rebecca Hazell and Philippe Renaud.
Cette édition des Mémoires propose, à côté de la version considérée comme définitive, un parcours génétique en six étapes, permettant d'éclairer le travail d'écriture, mais aussi la circulation et la réception d'un texte matriciel pour le genre des Mémoires comme pour la mémoire de la Fronde.
La Rochefoucauld a eu l'idée de composer un grand nombre de maximes, et surtout de les publier, dans le salon de Madeleine de Sablé où a été lancé le genre littéraire des maximes. On trouve d'ailleurs une certaine proximité de préoccupations dans les maximes de celle-ci et celles de La Rochefoucauld. Les maximes étaient discutées par Madeleine de Sablé ainsi que Jacques Esprit, la princesse de Guéméné, la duchesse de Schomberg, la comtesse de Maure ou Eléonore de Rohan. Les transformations effectuées à la version de l'édition de 1665 doivent beaucoup à ces amis influents.
Les Maximes ont été souvent réimprimées depuis les cinq éditions originales données du vivant de l'auteur.
Voltaire dira de cet ouvrage :
« C'est un des ouvrages qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation, et à lui donner un esprit de justesse et de précision... Il accoutuma à penser et à renfermer des pensées dans un tour vif, précis et délicat » - Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, chapitre 32
Fleuron de la littérature classique, les Réflexions ou Sentences et Maximes morales de La Rochefoucauld arrachent la forme brève aux usages scolastiques de la citation et du florilège pour renouer avec l'art de l'aphorisme.
Leur extrême accomplissement, consonance rigoureuse d'une forme et d'une pensée, a fait l'unanimité dès leur parution. Il en va tout autrement de leur contenu. La perfection de l'énoncé, son ironie constitutive, la réserve de l'auteur, qui ne signe pas son oeuvre et ne la commente jamais, en font un mystère aux intentions étonnamment ambiguës, voire mystérieuses. Pénétrées d'augustinisme, Maximes et Réflexions proposent une vision très sombre de l'homme et du monde.
Sont-elles une dénonciation de l'univers impur de la Chute et " une préparation à l'Evangile ", comme l'affirment les proches du duc, ou, expression d'un " jansénisme sans la rédemption " (Sainte-Beuve), dressent-elles un simple constat ? Conçues dans la mouvance de Port-Royal, prennent-elles rang auprès des Pensées de Pascal ou participent-elles à la subversion des fondements de la morale chrétienne qui conduit, au XVIIIe siècle, à la naissance de l'utilitarisme et de la théorie économique ? La responsabilité du sens est laissée au lecteur.
Poli pendant vingt ans (1657-1678), l'ouvrage présente des couches de sédiments distinctes. Elles mettent l'oeuvre en perspective, restituent le processus d'une création, le mûrissement d'une vocation. Cette nouvelle édition, rassemblant le plus grand nombre d'états des Maximes, un historique de chaque pièce de l'édition canonique de 1678 et une correspondance entièrement revue, fournit les matériaux d'une enquête essentiellement herméneutique.
La série Littératures publie des oeuvres de toutes littératures et de tous siècles, connues ou peu connues, qui ont marqué l'histoire littéraire, la culture ou l'évolution des idées. Ces oeuvres sont éditées dans la tradition des Éditions Champion : le texte publié est celui faisant autorité au regard des spécialistes qui ont procédé à son complet réexamen en s'appuyant sur les dernières avancées de la recherche.
Littératures propose ainsi une édition sûre, des textes parfois inédits et toujours accompagnés du meilleur environnement critique et explicatif (bibliographie, index, dossiers complémentaires, etc.).
The philosophy of La Rochefoucauld, which influenced French intellectuals as diverse as Voltaire and the Jansenists, is captured here in more than 600 penetrating and pithy aphorisms.