Jusqu'à une époque récente, le pouvoir israélien avait choisi de ne pas évoquer le boycott pour ne pas lui donner de publicité, mais les progrès du mouvement BDS, et en particulier du boycott culturel et universitaire, ont changé la donne : il est devenu dans le discours officiel une « menace stratégique de premier ordre ». De fait, ce boycott est un pavé lancé dans la vitrine d'un État qui se présente comme occidental-libéral, démocratique et critique.
Pour contrer cette menace, dans un premier temps la propagande israélienne était fondée sur l'explication (hasbara en hébreu) : montrer « à quel point nous sommes bons et ceux qui nous attaquent sont méchants ». Mais avec les opérations menées à Gaza en 2008 et 2014, l'image d'Israël s'est encore détériorée. Le pouvoir israélien a alors changé de stratégie et remplacé l'explication par le marketing. Il s'agit désormais de promouvoir le pays comme une marque (Brand Israël), de supprimer toute référence au conflit avec les Palestiniens, de vanter les atouts d'Israël, son économie solide, son mode de vie vibrant, sa culture. Une organisation gouvernementale est créée pour ce but, dotée de millions de dollars annuels.
Cette opération de marketing se double d'une offensive universitaires civiles, depuis la prestigieuse université de Tel-Aviv jusqu'à l'institut Technion, où ont été conçus le bulldozer D9, télécommandé pour la destruction de maisons et la technologie des drones de renseignement. Dans les conseils d'administration et parmi les enseignants, on compte une grande proportion d'anciens militaires de haut grade et de représentants de l'industrie militaire. L'université n'a jamais protesté contre le blocage et la fermeture des universités palestiniennes dans les territoires occupés, ni contre les crimes commis lors des expéditions militaires à Gaza. Les rares voix discordantes sont muselées, et les dissidents sont souvent amenés à s'exiler.
La littérature et le cinéma israéliens sont eux aussi utilisés comme des armes stratégiques. Au lendemain de l'opération Plomb durci à Gaza, le ministre des Affaires étrangères déclarait : « Nous allons envoyer à l'étranger des romanciers connus, des compagnies théâtrales, des expositions, pour montrer un plus joli visage d'Israël, pour ne plus être perçus dans un contexte de guerre ».
Quant à la « gauche sioniste », (ou « camp de la paix »), elle proclame que la société israélienne glisse vers le désastre, refusant d'admettre que le désastre est déjà là. Ses prudentes circonlocutions en font, selon les mots de Sivan et Laborie, « les garde-frontières de la critique légitime », la caution morale de l'inacceptable.
Le boycott intellectuel et universitaire est donc plus que légitime. C'est un outil essentiel pour celles et ceux qui souhaitent voir un jour les juifs israéliens pleinement intégrés et réconciliés avec le Moyen Orient.
Juridique menée dans le monde entier pour délégitimer et censurer les voix qui appellent au boycott, et singulièrement au boycott culturel et universitaire. En France, cette offensive est d'une intensité particulière, d'où une sorte d'« exception française » : notre pays est le seul (avec Israël, depuis peu) à considérer l'appel au boycott comme un délit - la Cour de cassation l'a récemment confirmé à deux reprises, au moment où les gouvernements néerlandais et irlandais affirmaient explicitement qu'un tel appel relevait de la liberté d'expression.
Le prestige international de l'université israélienne est un point essentiel de la hasbara. Sivan et Laborie montrent que cette université doit sa richesse et son efficacité à sa relation plus qu'étroite avec l'armée. L'essentiel de la recherche et développement de l'armée est réalisé par des institutions
Le premier plan de séparation de la Palestine historique en deux États, l'un pour les Juifs et l'autre pour les Arabes, date de. 1937.
Trois quarts de siècle plus tard, on n'est pas plus avancé : malgré les résolutions de l'ONU, les innombrables cycles de négociations, les mille et une missions de diplomates américains, sans compter toutes les souffrances et le sang versé, aucune « solution » n'est en vue du côté des deux États.
Ce n'est pas par hasard, montrent Hazan et Sivan dans ce livre : c'est que la partition n'est tout simplement pas possible : un vrai État palestinien n'est pas possible, et un État hébreu viable à long terme non plus.
La partition est un simulacre pour maintenir le statu quo, ce n'est pas une solution, c'est un discours. Remplaçons, disent Hazan et Sivan, la partition par le partage, la mise en commun de l'espace entre le Jourdain et la mer. Ils montrent que cette idée ne sort pas d'un chapeau : elle date des années 20, où les meilleurs parmi les intellectuels juifs, de Arendt à Sholem et Buber, luttaient dans Brit Shalom pour un État commun où tous les habitants de cet espace seraient égaux et jouiraient des mêmes droits.
Ils démontent un par un les arguments des adversaires de l'État commun, dont certains sont de mauvaise foi, et d'autres, qui méritent une discussion approfondie, peuvent être réfutés. Ils expliquent pour la première fois au public français que partout dans le monde, de Sydney à Londres en passant par Haïfa et Tel Aviv, des colloques, des groupes de réflexion, des universitaires se réunissent pour discuter de l'État commun (One State, chez les Anglo-Saxons).
Il est largement temps que la France rattrape son retard sur ce sujet, n'en déplaise à ceux qui voient dans les mots d'« État commun » un simple slogan antisémite.
Avec ce livre est offert un DVD d'Eyal Sivan, réalisé pour la circonstance : Sivan a interviewé plus de 40 personnes, qui vont d'un rabbin dans une colonie extrémiste à l'ancien maire adjoint de Jérusalem en passant par des enseignants à l'université de Bir Zeit et des réfugiés des camps palestiniens.
Émouvant et édifiant, sur la prétendue « haine » entre les peuples et l'impossibilité de vivre ensemble.