On sait que la psychanalyse fait parler l'inconscient.
Qu'il dise le sens sexuel n'émeut plus personne, passé le siècle. mais ce qu'il dit des hommes et des femmes reste comme une épine dans la doctrine. une pierre de scandale même, quand les préjugés s'en mêlent. pas besoin d'être féministe pour percevoir ceux de freud, ils sont trop datés fin xixe siècle. les débats post-freudiens de la première moitié du xxe siècle, inspirés par un souci d'équité tout opposé, n'ont guère fait avancer la question.
Bonne intention n'est pas doctrine. il fallut la seconde moitié du siècle et jacques lacan pour que du neuf s'y fasse entendre. il était temps, car on sent bien qu'une subversion sexuelle était déjà en cours dans la civilisation, impossible à méconnaître en ce début de xxie siècle, et que pour un peu la psychanalyse ratait.
Désir inassouvi, morcellement des pulsions, répétition et symptôme sont les maîtres mots des effets sur le corps de l'inconscient déchiffré par Freud. L'harmonie n'est pas au programme mais bien la discordance, la déliaison et l'arrogance des jouissances cyniques. Il semble bien que le discours du capitalisme en redouble aujourd'hui les méfaits délétères, avec tous ces suicides démonstratifs mais aussi divers que ceux des terroristes, des moines tibétains, des harcelés de l'entreprise capitaliste et de tous les désespérés de notre temps. D'où la question que posait Lacan de « l'humanisation » possible de cet animal dénaturé dont Freud ne reculait pas à dire qu'il est un loup pour l'homme, alors même que de toujours il a fait société. Que dira le psychanalyste des recours possibles, lui dont l'acte exclut l'appel aux normes de quelque ordre qu'elles soient ?
Dans la psychanalyse le sujet qui est mis en demeure de « se dire », est par définition en manque d'identité. « Que suis-je ? » est sa question mais étant seulement représenté par ses mots, son être est « toujours ailleurs » dans d'autres mots à venir. Paradoxe donc : on cherche par la parole l'identité d'un être qui, dans la parole n'est pas identifiable. N'empêche qu'il a un corps et qu'il est rivé à des troubles que la psychanalyse, de Freud à Lacan, a bien identifés, qui ne sont pas d'accident, qui se nomme répétition et symptôme, et qui déplace la question de l'identité car Un réel y est en jeu.
On le constate, la parole analysante, irrésistiblement, est aspirée vers les histoires de papa maman, et toutes les figures originaires de l'enfance. Pourquoi ? Cette capture pose la question de savoir ce qui se perpétue des premiers effets de lalangue maternelle et du discours de l'Autre tant au niveau de la jouissance, pulsions et symptôme, que des options de la subjectivité. C'est la question de ce qui reste de l'enfant dans le dit adulte, et elle va de pair avec une autre, celle du poids respectifs des contingences de l'histoire, des rencontres, et des choix cependant possibles.
Ce livre est l'histoire d'une crise dans la psychanalyse.
Ce n'est pas la première, mais elle ne ressemble à aucune autre. Jacques Lacan, pour avoir péché contre le dogme et les standards de l'Association Internationale de Psychanalyse, l'IPA, fut frappé, en 1963, d'une mesure d'exclusion analogue à une excommunication. Aujourd'hui, une même politique d'ostracisme a pris pour cibles tous ceux, nombreux, qui, dans la nouvelle Association Mondiale de Psychanalyse, l'AMP ont osé résister si peu que ce soit à l'imposition de la pensée unique.
Quelle ironie que ces Excommunications bis, dans une association qui se voulait l'héritière de l'Ecole de Lacan ! S'assurer le monopole de la doctrine par les moyens de la politique, c'est une conjoncture inédite, du moins dans la psychanalyse. Rien de tel ne s'était produit jusque-là. Freud a triomphé dans le siècle par ses textes, non par son association, l'IPA. Pour Lacan, la différence est encore plus nette : le renouveau de son enseignement a commencé de se faire reconnaître contre l'opposition de la puissante IPA, et c'est lui, cet enseignement, qui l'a légitimé comme chef d'Ecole et non l'inverse.
Quand, au contraire, le pouvoir légifère sur le savoir, l'amour du chef induit la soumission mentale : alors commence la secte. Face à un tel risque, il faut choisir : beaucoup l'ont fait dans cette crise, et ils sont entrés en dissidence. C'est donc l'histoire d'un combat contre un dévoiement de l'institution et du discours analytiques. Il a pris la même dimension mondiale que ce qu'il combat et il débouche sur la construction d'une alternative : celle des Forums du Champ lacanien.