Cette Françoise l'ascendante est l'arrière-grand-mère de l'auteur, et la mère d'un homme connu, Gaston Doumergue, qui fut président de la République. Un incident déclenche la curiosité et la réflexion de l'auteur. En juin 40, Colette Audry s'apprête à fuir Paris, avec pour tout bagage un sac à dos. Elle glisse dans ce sac une agate et une photo de Françoise, cette arrière-grand-mère. Elle ne sait pas pourquoi. Qu'est-ce que remonter à un être dont on est reconnu descendre et qu'on n'a fait que croiser sur la terre ? Comment est-on habité par lui ? «L'essai en forme de récit» qu'a entrepris Colette Audry n'est pas seulement un portrait d'une austère protestante du Gard. C'est une tentative de reprise du passé antérieur tel qu'il peut cristalliser dans une mémoire par l'incorporation d'instants de vie, de «on-dit» familiaux, de présupposés et d'inventions qui s'ignorent. C'est aussi un effort entêté pour approcher le vrai inatteignable de la personne sous l'image trop officielle de la mère d'un président. Enfin l'auteur peut écrire : «Je te retrouve en avant de moi, dressée comme une borne milliaire aux caractères effacés, et je suis aidée à franchir le grand âge en écrivant de toi.»
Un cosmonaute des temps futurs, envoyé sur une planète située à 575 années-lumière, croit à l'arrivée se retrouver dans un paysage familier. Mais est-ce bien sûr ? Dans la deuxième partie du livre, l'auteur de ce récit, attirée dans un piège, est accusée d'espionnage. Ces deux histoires abordent dans deux tons différents le thème du double. De la planète soeur au vulgaire agent double, c'est un des problèmes les plus troublants qui se pose à l'esprit humain. Les variations subtiles de Colette Audry donnent ce vertige qui s'empare de chacun de nous lorsque notre unité et notre unicité contestées, nous nous trouvons soudain face à un étranger qui est nous-même.
Un duel sans merci entre une mère et sa fille a pour champ clos un domaine du Languedoc protestant, au pied des Cévennes. Ottilia, la mère, veut garder sa fille Lydie auprès d'elle. Lydie, qui est la narratrice, veut monter à Paris, pour deux raisons : achever ses études, et y retrouver Armelle, une amie d'enfance passionnément aimée. Autour de ces deux caractères de feu gravitent ceux qui se sont soumis à l'emprise d'Ottilia : Alphonse, le père, se prépare à mourir ; Rollo, le fils, va suivre le programme de vie tracé par sa mère ; Angéline, la servante, assiste la «patronne» dans son sournois, austère et violent exercice d'autorité. C'est le nouveau berger Tazile qui servira de détonateur au drame. S'il séduit d'abord Lydie, il conquiert aussi la mère. Lorsque la jeune fille découvre la liaison, une issue s'ouvre devant elle. Elle s'y engouffre sans tergiverser sur les moyens. Vaincue, Ottilia laissera partir Lydie pour la capitale. Est-ce une victoire sans partage ? La jeune fille a conquis sa liberté, mais elle emporte tout son passé en héritage, et Armelle est perdue pour elle. Avec une sorte de fureur glacée, Colette Audry a su mettre en scène, rigoureusement, les faiblesses de la chair, la passion de respectabilité, la volonté de possession, l'orgueil qui, confondus, scellent la séparation et la solitude.
Douchka est une chienne entrée à l'âge de cinq semaines dans l'existence de Colette Audry. Mais qu'est-ce qu'un chien ? Qu'est-ce que l'intimité d'un être muet par nature, qui extorque l'amour, qu'on imagine sans le comprendre et avec lequel, bon gré mal gré, il faut bien «partager le monde» ? À travers cette aventure énigmatique, pleine d'épisodes douloureux, attendrissants ou comiques, la question ne cesse de se poser.Elle demeure sans réponse. Douchka meurt sans livrer son secret, forçant sa maîtresse à se livrer, elle.
Le récit a un roman pour noyau. Un roman romanesque, qui n'est pas romancé. L'aventure a eu lieu. Transplantée difficilement du Vivarais en Bretagne par les hasards de la carrière paternelle, une fille de douze ans s'éprend en silence de son professeur, une jeune femme qui ne ressemble à personne. Elle se promet de faire un jour sa conquête. Par la puissance de son amour, par l'effort qu'elle s'impose pour comprendre la personne aimée, pour se hausser jusqu'à elle et pour apprendre d'elle ce qui compte et ce qui ne compte pas, Colette Audry va s'enraciner dans son nouveau pays, dans son travail, dans la littérature surtout. S'enraciner en elle-même et dans l'avenir qu'elle se trace : une vie tout entière rassemblée par la passion. Et quand l'adolescente connaît de nouveau l'exil, l'amour survit des années à la séparation, dans une remémoration perpétuelle. Jusqu'au jour où l'imaginé enfin se réalise. Colette Audry doit découvrir alors que l'accomplissement espéré marquait la fin d'une initiation. Peut-être, à un moment donné, lui aura-t-il fallu un amour unificateur puis comblé pour y puiser l'élan de vivre. Cet élan qui l'emporte à la fin du livre vers d'autres exigences, vers d'autres passions, vers d'aveuglantes réalités : le métier, l'engagement politique, l'amitié sans complaisarnce de Sartre et de Simone de Beauvoir, la guerre, un enfant, les premiers écrits. La mort de sa soeur Jacqueline. «C'est donc cela qui m'attendait», se dit-elle.
Durant les deux dernières années de sa vie, Colette Audry, femme de lettres, témoin exceptionnel de son temps, échange avec un moine bénédictin une correspondance d'une rare densité littéraire. Elle fait de son correspondant son «unique public»:il devient le support, mais aussi l'adresse d'une question concernant sa propre exigence de vérité et sa soif de perfection éthique.Rien au-delà:il n'y a rien au-delà de la douceur que peuvent s'apporter, dans cette vie, deux êtres qui s'écoutent et s'ouvrent mutuellement «une possibilité illimitée de s'exprimer». Mais si cette vie vient à manquer, on se trouve sur un seuil au-delà duquel il n'y a rien. Sauf le noir absolu.Avec François, une chance se présente pour Colette, de ne pas mourir sans s'être dite jusqu'au bout.