Dans Les Nourritures terrestres (1897), le jeune Gide remplace la mystique religieuse par une ferveur de l'expérience sensorielle des choses. Loin des métaphores du symbolisme et de la platitude du réalisme, il donne une forme inédite à son ouvrage, entre prose et poésie, à la croisée du traité et du récit. Contre le puritanisme chrétien et le repli nationaliste, Gide lance à toutes les formes de la vie un cri d'amour individualiste, exaltant une attente sensuelle du bonheur.Si ce premier texte condense cinq années d'expériences nomades, Les Nouvelles Nourritures (1935) retrace, après vingt ans d'évolution intellectuelle, l'aboutissement d'une réflexion altruiste. C'est un nouvel évangile que Gide propose au monde de l'après-guerre, où l'enthousiasme lyrique cohabite avec un engagement rationaliste et social, centré sur cette difficile question : comment faire pour que la joie conquise jadis en solitaire puisse un jour être partagée par tous ?
Coffret de deux volumes vendus ensemble, réunissant des réimpressions récentes des nouvelles éditions (1996 et 1997)
«Apprenez ceci, mon bon monsieur Fleurissoire Cave est un mot latin qui veut dire aussi : Prends garde !»Le pape a-t-il été emprisonné dans les caves du Vatican ? C'est du moins ce que croit l'ingénu Amédée Fleurissoire, fervent catholique prêt à entamer une croisade pour aller libérer le souverain pontife. À ses côtés gravitent des personnages tout aussi hauts en couleur : Anthime Armand-Dubois, franc-maçon sous le choc d'une vision mariale ; Julius de Baraglioul, romancier en mal d'Académie ; le jeune Lafcadio, qui se découvre l'héritier d'un riche comte ; et l'escroc Protos, beau parleur et maître du déguisement.Satire décousue et rocambolesque qui n'épargne personne, Les Caves du Vatican (1914) propose aussi, à travers la question de l'acte gratuit, une réflexion ironique sur le libre arbitre inspirée notamment des romans de Dostoïevski, dont Gide a été un lecteur passionné.Dossier1. De la littérature à la philosophie : l'acte gratuit2. Faits divers et littérature3. Le roman d'aventures4. La réception des Caves du Vatican.
«Combien heureux les hommes, s'ils pouvaient ignorer le mal !»Un pasteur du Jura suisse relate dans son journal intime sa rencontre inattendue avec Gertrude, une jeune fille aveugle laissée orpheline. Après l'avoir recueillie, il l'éduque dans la religion protestante en se donnant pour but de préserver à tout prix son innocence. Sauvage au premier abord, Gertrude se révèle pure et sensible : le pasteur en tombe amoureux, tout comme son fils...La Symphonie pastorale (1919) est autant le récit d'une éducation impossible que du déni d'un homme face à ses pulsions intimes. Dans cette variation ironique sur le mythe de l'enfant sauvage, Gide donne à voir, non sans cruauté, toute l'ambiguïté morale qui se loge dans les bonnes intentions.
Rares sont les écrivains qui, parallèlement au roman qu'ils écrivent, tiennent un journal de leur travail et le publient de leur vivant. C'est le cas d'André Gide avec son célèbre roman de l'adolescence perverse, Les faux-monnayeurs.Le Journal des faux-monnayeurs est le long dialogue de Gide avec ses personnages au fur et à mesure de leur création. C'est ainsi qu'il se familiarise avec l'atmosphère trouble dans laquelle évoluent ses héros : Édouard qui tient son journal, Olivier Molinier, Bernard Profitendieu... Tout au long, Gide apprend à vivre avec eux et il dépasse parfois le cadre du roman proprement dit. Ce Journal, qui est aussi son «cahier d'études», permet de mieux sentir le mécanisme créateur, l'intelligence critique, l'ironie du grand romancier.
Fasciné par la machine judiciaire comme par les aperçus des replis de l'âme humaine que lui apporte son expérience de juré, l'écrivain André Gide asssiste pendant plusieurs semaines à divers procès : affaires de moeurs, infanticide, vols... Dans ce texte dense et grave, Gide s'interroge sur la justice et son fonctionnement, mais surtout insiste sur la fragile barrière qui sépare les criminels des honnêtes gens.
«Le motif secret de nos actes, et j'entends : des plus décisifs, nous échappe ; et non seulement dans le souvenir que nous en gardons, mais bien au moment même. Sur le seuil de ce que l'on appelle : péché, hésitais-je encore ? Non ; j'eusse été trop déçu si l'aventure eût dû se terminer par le triomphe de ma vertu - que déjà j'avais prise en dédain, en horreur. Non ; c'est bien la curiosité qui me faisait attendre...»
«La Poésie est comparable à ce génie des Nuits Arabes qui, traqué, prend tour à tour les apparences les plus diverses afin d'éluder la prise, tantôt flamme et tantôt murmure ; tantôt poisson, tantôt oiseau ; et qui se réfugie enfin dans l'insaisissable grain de grenade que voudrait picorer le coq.La Poésie est comparable également à cet exemplaire morceau de cire des philosophes qui consiste on ne sait plus en quoi, du moment qu'il cède l'un après l'autre chacun de ses attributs, forme, dureté, couleur, parfum, qui le rendaient méconnaissable à nos sens. Ainsi voyons-nous aujourd'hui certains poètes, et des meilleurs, refuser à leurs poèmes, rime et mesure et césure (tout le sine qua non des vers, eût-on cru), les rejeter comme des attributs postiches sur quoi la Muse prenait appui ; et de même : émotion et pensée, de sorte que plus rien n'y subsiste, semble-t-il, que précisément cette chose indéfinissable et cherchée : la Poésie, grain de grenade où se resserre le génie. Et que tout le reste, auprès, paraisse impur ; tâtonnements pour en arriver là. C'est de ces tâtonnements toutefois qu'est faite l'histoire de notre littérature lyrique.»André Gide.
Gide publie Paludes en 1895, alors qu'il est un jeune auteur de vingt-cinq ans. Il y place les écrivains qu'il fréquente à cette époque (Henri de Régnier, Pierre Louÿs), les Mardis de Mallarmé, auxquels il est assidu, et la femme dont il est amoureux depuis l'adolescence, sa cousine Madeleine Rondeaux, qu'il épousera quelques mois plus tard. L'écriture de ce bref ouvrage est aussi contemporaine de ses premières expériences homosexuelles ; les questionnements sur le conformisme et sur l'inévitable stérilité de sa relation à sa future épouse, le rêve inavouable d'une vie « différente » - c'est précisément en 1895 qu'Oscar Wilde, ami de Gide, est emprisonné pour « outrage aux moeurs » - donnent à la vivacité et à l'ironie de Paludes une profondeur et une gravité qu'on n'y soupçonnerait pas dès l'abord.
André Gide a écrit, au cours de sa vie, des milliers de lettres adressées à plus de deux mille correspondants. Peu avant sa mort, il a déclaré : «Je faisais métier de mon amitié. C'est un métier fatigant qui requiert des soins assidus. Je m'y usais. J'écrivais peu à chacun, mais j'écrivais à beaucoup.» Par ses lettres, Gide rassemble autour de lui la diversité de l'humaine condition, dont il s'efforce de tirer le meilleur. De Pierre Louÿs à Camus, en passant par Aragon, Breton, Giono, Léon Blum, Rilke, Colette, Proust ou Cocteau, cette correspondance est le reflet idéal de plus de soixante ans d'histoire littéraire.
Pendant près d'un an, de juillet 1926 à mai 1927, André Gide parcourut en compagnie de Marc Allégret l'Afrique-Équatoriale française, depuis l'embouchure du Congo jusqu'au lac Tchad. Il en ramena ce fameux journal de voyage dans lequel l'auteur des "Faux- monnayeurs" dénonçait la violence de la puissance coloniale à l'égard des Noirs, en particulier dans le chantier tristement célèbre de la ligne « Congo-Océan » qui fit 17 000 morts parmi les ouvriers. La parution de "Voyage au Congo" provoqua de très vives réactions de la droite française ; quelques semaines plus tard, le grand reporter Albert Londres partait enquêter dans les pas de Gide...
De juillet 1926 à mai 1927, André Gide et son compagnon Marc Allégret parcourent l'Afrique équatoriale française. Le romancier retranscrit les observations de son long voyage dans un carnet. Il y relate dans sa langue élégante la beauté des terres visitées, et, avec une colère froide, la terrible exploitation des habitants par les industriels français et l'administration coloniale. Le livre marquera un tournant en France, perçu à sa parution comme un réquisitoire contre la violence de la colonisation, provoquant une large prise de conscience (Albert Londres partira sur les traces de Gide peu après, ce qui deviendra son reportage Terre d'ébène) et de très vives réactions des nationalistes inquiets de ses attaques des intérêts de l'empire colonial français.
Dans un Paris indéterminé, entre la Belle Époque et les Années folles, deux événements font irruption, qui vont bouleverser une société bourgeoise et conformiste : Bernard, ayant découvert qu'il n'est pas le fils de M. Profitendieu, décide de quitter le domicile familial, le jour où le romancier Édouard, oncle d'Olivier, revient soudainement d'Angleterre à l'appel de son ancienne amante. Un système de ricochets se déclenche alors, qui va amener toute une galerie de personnages à manifester, chacun à sa manière, un principe de mauvaise foi généralisée.Récit d'apprentissage, revendiqué par Gide comme son premier roman, Les Faux-monnayeurs est un puzzle savamment construit, émaillé sur presque quarante ans de faits divers, d'événements historiques et autobiographiques. Jouant sur les codes du roman et sur la mise en abyme du journal d'Édouard, Gide compose l'un des grands romans modernes, une oeuvre chorale, annonciatrice du Nouveau Roman.Dossier1. Les emprunts au réel2. L'atelier du roman3. Chronologie du roman4. Chronologie des faits liés aux Faux-monnayeurs.
Livre des grandes désillusions, "Retour de l'URSS" est aussi la marque du courage politique et de l'engagement intellectuel. Invité en grande pompe en 1936 à Moscou, André Gide, jusque-là "compagnon de route" enthousiaste du communisme, se rend compte sur place, alors qu'il cherche à parcourir librement le pays, que la réalité soviétique ne correspond pas aux croyances occidentales. Il publie à son retour ce récit dévastateur qui rencontre aussitôt un énorme succès dans l'opinion française et internationale, et lui vaut la haine du PCF. Gide répondra en 1937 aux critiques et injures dans un second texte, "Retouches à mon Retour de l'URSS", que l'on trouvera également ici.
André Gide a rencontré Oscar Wilde une première fois en 1891, dans un salon parisien. Il avait alors 22 ans, l'écrivain irlandais, 37 ans. Une rencontre déterminante, suivie d'autres, notamment à Florence et au Maghreb, pour l'auteur de La Porte étroite. Après sa mort en 1900, Gide lui rendra un émouvant double hommage, à travers deux textes publiés en revue (en 1903 et en 1905) : « In Memoriam. Hommage à Oscar Wilde », et « Le De Profundis d'Oscar Wilde ». Dans ce livre intimiste, Gide revient sur leurs rencontres, à Paris, à Blida en Algérie, en 1895, et à Berneval, près de Dieppe (en 1897, au moment où Oscar Wilde sort de prison, et où il s'est réfugié, sous le nom de Sébastien Melmoth). Ce sont là, selon le mot de Gide, des « pages d'affection, d'admiration et de respectueuse pitié ».
«Ah ! Que n'étais-je venu simplement en touriste ! ou en naturaliste ravi de découvrir là-bas quantité de plantes nouvelles, de reconnaître sur les hauts plateaux la scabieuse du Caucase de mon jardin... Mais ce n'est point là ce que je suis venu chercher en U.R.S.S. Ce qui m'y importe c'est l'homme, les hommes, et ce qu'on en peut faire, et ce qu'on en a fait. La forêt qui m'y attire, affreusement touffue et où je me perds, c'est celle des questions sociales. En U.R.S.S. elles vous sollicitent, et vous pressent, et vous oppressent de toutes parts.» Lors de son voyage en U.R.S.S., André Gide découvre, derrière le faux enthousiasme collectif, une entreprise constante de désindividualisation. Retour de l'U.R.S.S., publié en 1936, puis l'année suivante les Retouches firent sensation. Les deux livres restent un témoignage capital.
«Le Journal d'André Gide peut être considéré comme la pièce maîtresse de l'écrivain. Texte original, transgressif à plus d'un titre par rapport à la morale courante - les tabous de la sexualité, les idées reçues, les lieux communs, les idéologies, la religion - à la fois sérieux et drôle, grave et léger, rapide et lent - il reste d'une ampleur et d'une amplitude insoupçonnées. Cette anthologie, qui se réclame de l'art de la réduction cher aux compositeurs, a pour but de rendre l'une et l'autre, quintessenciées.» Peter Schnyder.
Nouvelle édition
Est-ce dû au classicisme de sa langue, qui aurait fait écran ? Si l'on parle toujours, avec une conviction variable, du «contemporain capital» (l'expression date de 1924...), on évoque rarement la hardiesse d'un Gide qui sut placer son oeuvre à l'avant-garde de l'exploration formelle et qui, bien avant que le terme soit inventé, l'inscrivit presque tout entière dans le registre de l'«autofiction». Ces deux volumes regroupent tous les textes de «fiction» de Gide, qu'ils soient narratifs ou dramatiques. En dépit de leur variété générique, leur unité est profonde. Très tôt, Gide décida de se construire, c'est-à-dire de se concevoir comme un puzzle où sa diversité pourrait exposer toutes ses facettes et néanmoins, à un niveau supérieur, affirmer une cohérence secrète. Habiter par la vision de ses livres futurs, il se dit persuadé qu'on ne pourra le comprendre qu'une fois que tous auront paru. Mais il n'a rien fait pour faciliter cette compréhension. En refusant ces repères que sont les genres littéraires convenus, en multipliant les textes atypiques, en modifiant selon sa fantaisie les étiquettes apposées sur ses livres et en ne perdant pas une occasion de discréditer l'illusion réaliste, il s'entend comme personne à brouiller les pistes. Peut-être fallait-il que le temps passe pour que le «contemporain» entre dans l'intemporel et pour que soit reconnue l'une des qualités par lesquelles cette oeuvre trouve son unité : l'audace.
Lors de son périple en U.R.S.S., du 16 juin au 24 août 1936, André Gide observe, interroge et relate. Comme celle de ses compagnons, sa désillusion est presque immédiate. Il dénonce le culte de la personnalité dont s'entoure Staline, la répression féroce qui frappe tous les «dissidents», notamment les homosexuels. Il voit la misère, les privations qu'endure ce peuple qu'il admire. Le tout est exprimé avec une soigneuse modération, sans nier les réussites objectives du régime. En dépit de ces précautions, Retour de l'U.R.S.S. va, dès sa parution, fin 1936, déchaîner un torrent de réactions, scandalisées et haineuses. Il y répondra, de façon objective et documentée, dans Retouches à mon «Retour de l'U.R.S.S.» (juin 1937), qui enfoncera le clou, et marquera sa rupture définitive avec le communisme.Relire la «littérature engagée» du prix Nobel 1947 apparaît aujourd'hui - quand d'aucuns comparent l'époque actuelle et sa montée des dictatures et des fanatismes, à une nouvelle avant-guerre - comme légitime et nécessaire.
« Il est bien téméraire d'affirmer que l'on aurait pensé de même sans avoir lu tels auteurs qui paraîtront avoir été vos initiateurs. Pourtant, il me semble que, n'eussé-je connu ni Dostoïevski, Nietzsche, ni Freud, ni X... ou Z..., j'aurais pensé tout de même ; et que j'ai trouvé chez eux plutôt une autorisation qu'un éveil. Surtout ils m'ont appris à ne plus douter de moi, à ne plus avoir peur de mes pensées et à me laisser mener par elles jusqu'à ces terres qui n'étaient pourtant pas inhabitables, puisqu'aussi bien je les y retrouvais. »
Est-ce dû au classicisme de sa langue, qui aurait fait écran ? Si l'on parle toujours, avec une conviction variable, du «contemporain capital» (l'expression date de 1924...), on évoque rarement la hardiesse d'un Gide qui sut placer son oeuvre à l'avant-garde de l'exploration formelle et qui, bien avant que le terme soit inventé, l'inscrivit presque tout entière dans le registre de l'«autofiction». Ces deux volumes regroupent tous les textes de «fiction» de Gide, qu'ils soient narratifs ou dramatiques. En dépit de leur variété générique, leur unité est profonde. Très tôt, Gide décida de se construire, c'est-à-dire de se concevoir comme un puzzle où sa diversité pourrait exposer toutes ses facettes et néanmoins, à un niveau supérieur, affirmer une cohérence secrète. Habiter par la vision de ses livres futurs, il se dit persuadé qu'on ne pourra le comprendre qu'une fois que tous auront paru. Mais il n'a rien fait pour faciliter cette compréhension. En refusant ces repères que sont les genres littéraires convenus, en multipliant les textes atypiques, en modifiant selon sa fantaisie les étiquettes apposées sur ses livres et en ne perdant pas une occasion de discréditer l'illusion réaliste, il s'entend comme personne à brouiller les pistes. Peut-être fallait-il que le temps passe pour que le «contemporain» entre dans l'intemporel et pour que soit reconnue l'une des qualités par lesquelles cette oeuvre trouve son unité : l'audace.
Nouvelle édition en 1977
Voyage au Congo, et Le Retour du Tchad qui lui fait suite, se présente comme un «carnet de route» du 21 juillet 1925 au 14 mai 1926. Outre l'enchantement procuré par ce voyage avec Marc Allégret - Gide herborise, naturalise, papillonne -, l'écrivain dépeint la misère des villages, les maladies, dénonce le sort des prisonniers ou des enfants, les exactions de certains colons blancs et l'emprise des grandes compagnies coloniales. En dépit de la modération de son ton et du sérieux de ses observations, le texte déclenche de violentes polémiques dans la presse et à la Chambre des députés. Gide répond fermement et se revendique en tant que «voyageur libre».D'une façon prophétique, il dépasse le cadre du témoignage personnel pour célébrer une «science naissante et bourgeonnante : l'ethnologie». Il en fut l'un des précurseurs. Libre, d'une honnêteté impeccable, moderne.Dindiki, brève évocation d'un petit animal offert à Gide durant son périple, est un texte peu connu, d'une grande sensibilité.